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Dans une discipline où le silence est roi, certains joueurs et joueuses brisent depuis plusieurs décennies les codes intemporels du tennis en criant après chaque coup frappé. Un simple petit grognement pour les uns, de véritables hurlements pour les autres, à l’image de la Russe Maria Sharapova et la Biélorusse Victoria Azarenka dont leurs cris furent respectivement mesurés à 101 et 105 dB. Alors, ont-elles une bonne raison à crier aussi fort sur le terrain ?
Qui furent les premiers pionniers du cri ?
Comme de nombreux journalistes s’accordent à le dire, les premiers cris enregistrés sur un court de tennis vinrent de l’Américaine Vicky Palmer, joueuse des années 1960 à la carrière plutôt modeste, son principal fait d’armes étant une demi-finale à l’US Open de 1962. Loin des joueurs et joueuses les plus expressifs, les petits grognements qu’elle émettait après chaque coup frappé rompaient avec le traditionnel silence de cette discipline et lui valurent le surnom de « Grunter » (La grogneuse).
Imitée quelques années plus tard par Jimmy Connors et Andre Agassi, Vicky Palmer ne put que s’incliner lorsque vint l’émergence de la jeune prodige yougoslave Monica Seles. À côté de ses records de précocité, celle qui remporta Roland Garros à seulement 16 ans déboula en trombe sur la planète tennis accompagnée de cris bien plus forts que ceux entendus jusque-là. Une petite nouveauté qui ne fut pas du tout au goût de ses adversaires, Martina Navratilova allant jusqu’à demander l’intervention de l’arbitre en demi-finale de Wimbledon 1992 pour faire taire la jeune joueuse. Mais ce jour-là le mal était déjà fait. Malgré le soutien arbitral demandant à Seles de crier moins fort, une Martina Navratilova désabusée et décontenancée s’inclina aux portes de la finale.
Crier pour déstabiliser son adversaire
Et c’est justement l’un des intérêts premiers du cri. Encore plus vrai à l’époque qu’actuellement, crier, comme cela était si peu ordinaire en son temps, permettait à Monica Seles de déstabiliser ses adversaires. Elle rentrait plus facilement dans leur tête, perturbait leur concentration et les faisait perdre patience. Les moins aguerris mentalement sortaient ainsi de leurs matchs et perdaient toute chance de rivaliser avec la jeune yougoslave.
Outre cet impact psychologique, crier aurait des répercussions sur la réactivité de ses adversaires. D’après une étude canadienne, le joueur se trouvant en face d’un adepte des cris verrait son temps de réaction augmenter d’environ 33 millisecondes. Perturbé par le bruit, il est coupé de l’un de ses principaux sens, l’ouïe, et se retrouve dans l’incapacité d’anticiper la vitesse et l’effet de la balle à la simple écoute du son produit par cette dernière lorsqu’elle est frappée. En d’autres termes, crier est un moyen de mieux camoufler ses coups.
Crier pour augmenter la puissance de ses frappes
À l’instar d’un lanceur de poids, de javelot ou de disque, les tennismen crient pour libérer leur pleine puissance. Devant bloquer leur respiration au moment de frapper, ils expulsent d’un coup sec tout l’air contenu dans leurs poumons une fois la balle sortie de la raquette. Pour certains joueurs, cela s’accompagne d’un cri aux bénéfices démontrés.
Car d’après une étude scientifique menée par des chercheurs américains sur des jeunes espoirs du tennis, crier permettrait d’augmenter la puissance de ses frappes d’environ 4%. Ainsi, pour un service initialement frappé à 200km/h, faire usage de ses cordes vocales offrirait un gain de 8km/h. Un avantage non-négligeable, que l’on doit en partie au bénéfice du cri sur la contraction de l’abdomen. Selon des chercheurs britanniques, frapper un coup en criant permettrait en effet d’obtenir une meilleure réponse des muscles de la sangle abdominale. Le buste est ainsi robuste, immobile et prêt à délivrer au bras un surplus de puissance qui pourrait bien faire basculer le destin d’une rencontre.
Enfin, crier est un moyen pour les joueurs de libérer toute la tension et l’énergie qu’ils ont en eux. Cela peut les transcender un peu plus à chaque nouveau coup frappé, leur permet d’installer une dynamique vertueuse lorsqu’ils dominent les débats ou à l’inverse, ils utilisent le cri pour puiser dans leurs dernières ressources quand la rencontre s’éternise.
Vous l’aurez compris, un joueur de tennis a mille et une raison de crier sur le terrain. Qu’il soit réel ou purement psychologique, les adeptes du cri estiment avoir un avantage à entretenir cette pratique et ce n’est certainement pas Monica Seles qui viendra contredire ces propos. Au lendemain de sa demi-finale de Wimbledon durant laquelle on lui avait reprochée de crier trop fort, la Yougoslave avait promis de rester silencieuse durant la finale. Conséquence directe ou non, elle fut balayée 6-2, 6-1 par Steffi Graf et admettra dans son autobiographie que sa retenue était la « pire décision de sa carrière ».