Le marathon des Jeux de 1904, la pire course de l’histoire

Le marathon des Jeux Olympiques de 1904, la pire course de l'histoire

Horrible, atroce, épouvantable, inhumain, cauchemardesque, scandaleux. Les qualificatifs manquent pour décrire le marathon des Jeux Olympiques de 1904, organisé à Saint-Louis aux États-Unis. Entre des conditions climatiques extrêmes, un parcours difficile et des organisateurs insensés, l’épreuve mit à très rude épreuve les organismes des participants, bouclant les 40 km au bord de l’agonie, s’ils n’avaient pas abandonné plus tôt.  

Une chaleur suffocante, des organisateurs inconscients

Mardi 30 août 1904. Sur le cendré du stade Francis Field, trente-deux athlètes alignés de front s’apprêtaient à vivre l’enfer. Le savaient-ils ? La chaleur écrasante et l’heure de départ tardive leur laissaient un indice. Sur les coups de quinze heures et par 32°C, les coureurs s’élançaient pour cinq tours de stade avant de poursuivre sur un tracé vallonné d’une quarantaine de kilomètres autour de Saint-Louis. 

Sept collines jalonnaient le parcours. Les routes empruntées, non-goudronnées, étaient un mélange de terre et de gravier dégageant un important nuage de poussière au passage des voitures des officiels. L’air en devenait irrespirable. La chaleur étouffante et pour couronner le tout, les organisateurs n’avaient prévu qu’un seul ravitaillement en eau, situé peu avant la moitié du parcours. Une privation murement réfléchie, faite à la demande du directeur des Jeux James Sullivan. Scientifique dans l’âme, il voulait se servir de ce marathon pour étudier les effets de la déshydratation sur des organismes soumis à un effort intense. Quelle belle idée !

Seulement quatre nationalités différentes composaient ce peloton de coureurs. Le prix et la durée du voyage avait privé l’immense majorité des coureurs européens de ce rendez-vous olympique. Aux côtés d’une vingtaine d’athlètes américains, une délégation grecque avait tout de même fait le déplacement jusque dans le Missouri, accompagnée par deux Sud-africains et un Cubain prénommé Félix Carvajal. 

Facteur de profession, ce dernier avait rejoint Saint-Louis par ses propres moyens. Dilapidant ses économies dans des jeux de hasard à La Nouvelle-Orléans, il effectua la fin du trajet en faisant du stop. Arrivé sur place, le Cubain n’avait plus l’argent nécessaire pour s’acheter une tenue de sport et pouvait difficilement se payer à manger. Le jour venu, il se présenta sur la ligne de départ avec sa longue chemise et des chaussures de ville aux pieds. Une personne bien aimable découpait son pantalon pour en faire un short. Félix Carvajal s’élançait ainsi, en compagnie des trente-et-un autres concurrents. 

Les abandons se succèdent

John Lordan, vainqueur du marathon de Boston l’année précédente, était le premier à montrer des signes de faiblesse. Pris de vomissement dès la sortie du stade, il abandonnait en tout début de course. Un favori déjà au tapis. 

Au kilomètre vingt-trois, le leader de la course Samuel Mellor était à son tour victime d’une sévère défaillance. Le nuage de poussière dégagé par les voitures ouvreuses le faisait suffoquer. Peinant à respirer, les poumons détruits, il abandonnait à mi-parcours et n’était pas le seul. La poussière soulevée avait bien failli couter la vie de William Garcia. Ce coureur américain au dossard n°23 était retrouvé allongé sur le bord de la route, agonisant d’une hémorragie digestive lui faisant cracher beaucoup de sang. Transporté en urgence à l’hôpital, il était sauvé in-extremis. 

L’air pollué par la poussière, la chaleur d’une après-midi estivale dans le Missouri et la complexité d’un parcours dénué de point d’eau continuait à faire des dégâts. Vainqueur du dernier marathon de Boston, Michael Spring abandonnait à son tour après vingt-cinq kilomètres d’effort. Les concurrents en course n’étaient plus nombreux. Thomas Hicks, montrant d’importants signes de fatigue depuis plus de dix bornes, songea à abandonner au vingt-neuvième kilomètre. Ses assistants l’en empêchèrent. En guise de ravitaillement, ils lui administraient un mélange de strychnine (un poison utilisé dans la mort aux rats) et de blanc d’œuf afin de stimuler son système nerveux. Ce premier cas de dopage avéré de l’histoire des Jeux Olympiques eut un effet magique. Thomas Hicks se releva et poursuivait son chemin jusqu’au stade Francis Field.

Hicks titube, Lorz le dépasse en voiture

Dans les tribunes, les spectateurs s’impatientaient. Voilà plus de trois heures que les coureurs étaient partis et aucun n’avait encore pointé le bout de son nez. Finalement, après une interminable attente, Frédéric Lorz pénétrait en premier dans le stade. Ce maçon travaillant à New York avait une confortable avance sur le reste des concurrents. Il célébrait et s’apprêtait à recevoir sa médaille d’or lorsque Thomas Hicks entrait dans le stade, accompagné des voitures ouvreuses. 

Lorz avait triché. Abandonnant dès le quatorzième kilomètre, il effectua le reste du parcours en voiture, aux côtés de son entraineur, jusqu’à ce que cette dernière tombe en panne. Le coureur new yorkais décidait alors de poursuivre en courant jusqu’à l’arrivée et se présenta dans le stade dans la peau du vainqueur. Une simple farce d’après ses propos, lui valant d’être copieusement hué par la foule et temporairement exclu de l’Amateur Athletic Union. 

La vérité rétablie, Thomas Hicks était ovationné par le public. Après 3 h 28 min d’effort, le marathon le plus lent de l’histoire des Jeux, ce Britannique parti vivre aux États-Unis était au bord du malaise. Sa seconde dose de strychnine reçu en fin de course n’avait pas amélioré sa situation. Titubant et victime d’hallucinations, il était porté par ses assistants sur les derniers mètres, mimant de courir alors que ses pieds ne touchaient plus le sol. Malgré des réclamations l’accusant, à juste titre, d’avoir été aidé, les juges validèrent la victoire de Thomas Hicks. Il devenait le troisième champion olympique sur marathon au prix d’un effort inhumain, mettant sérieusement sa santé en péril. 

Un Français sur le podium

Derrière, Albert Corey se classait second. Ce Français installé aux États-Unis n’avait pas obtenu la nationalité américaine et pourtant, sa médaille d’argent tombait dans l’escarcelle américaine. Une injustice réparée en janvier 2021, 117 ans après les faits. Grâce aux travaux de l’historien Clément Genty, le centre d’études olympique effectuait une mise à jour sur l’identité du coureur. Albert Corey, désormais déclaré français, avait apporté ce jour-là une place de vice-champion olympique à son pays de naissance. 

Arthur Newton se parait de bronze tandis que le Cubain Félix Carvajal, parti en tenue de ville, terminait quatrième. Le podium lui avait sans doute échappé lors d’un arrêt dans un verger. Mangeant quelques fruits tombés d’un arbre il devait faire une pause un peu plus loin, victime de crampes à l’estomac. 

Derrière ces quatre hommes, seuls dix autres concurrents achevèrent ce marathon de l’extrême. Len Taunyane et Jan Mashiani, les deux coureurs sud-africains devenus les premiers noirs à participer aux Jeux Olympiques se classaient respectivement neuvième et douzième. Le premier aurait pu prétendre à bien mieux, mais un chien errant lancé à ses trousses en décidait autrement. Devant un faire détour de deux kilomètres pour le semer, Len Taunyane terminait loin d’un podium à sa portée. 

Trente-deux au départ, quatorze à l’arrivée. Dans l’histoire des Jeux, jamais un marathon n’a enregistré un taux d’abandon si élevé. L’épreuve fut si décriée que l’on envisagea de supprimer le marathon du programme olympique, qualifié d’« indéfendable sur n’importe quel terrain » par James Sullivan, l’un des grands responsables de ce massacre. 

Mais quatre années plus tard, la plus mythique des courses figurait bien au calendrier des Jeux de Londres. Dans les rues de la capitale britannique, la distance était pour la première fois de l’histoire fixée à 42,195 kilomètres. Après la disqualification de l’Italien Dorando Pietri la victoire revenait à l’américain John Hayes, signant en 2 h 55 min le premier record olympique de la discipline dans des conditions bien plus clémentes. 

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