La traversée de la Manche à la nage, histoire de l’Everest de la natation

Traversée de la Manche à la nage

C’est un défi fou. Un périple long de 34 kilomètres d’un point de vue théorique, se transformant dans la majeure partie des cas en un interminable chemin de croix de plus de 50 à 60 km à cause des divers courants maritimes déportant les nageurs. La traversée de la Manche à la nage, considérée comme l’Everest de la natation, attire, malgré sa grande difficulté, chaque année de plus en plus de sportifs désireux de se surpasser et découvrir leurs propres limites. Retour sur ce défi hors normes et sa riche histoire ayant débuté à une époque où la grande majorité des épreuves sportives n’existaient guère. 

Premières tentatives et premier exploit

Aussi étonnant que cela puisse paraitre, la première traversée de la Manche à la nage s’est faite il y a près de 150 ans, bien avant la création d’événements sportifs majeurs tel les Jeux Olympiques, le Tour de France ou encore le marathon. Le sport en était encore à ses balbutiements. La distinction entre football et rugby commençait à peine à s’établir, Wimbledon, l’un des plus vieux tournois de tennis au monde, n’avait pas encore vu le jour et pourtant, en 1875, un certain Matthew Webb réalisait une performance sportive des plus retentissantes en devenant le premier homme à rallier l’Angleterre à la France à la nage. 

Pour autant, ce Britannique originaire des Midlands de l’Ouest ne fut point le premier à s’essayer à ce que l’on nomme désormais l’Everest de la natation. Quelques années avant lui, en 1872, un autre britannique répondant au nom de J.B Johnson s’était mis en tête le défi de traverser la Manche à la nage. S’élançant des côtes britanniques le 24 août 1872, l’ampleur de son défi eut raison de lui et J.B Johnson échoua dans cette tentative de traversée de la Manche. 

Mais ce premier essai ne fut pas totalement vain. Il inspira justement Matthew Webb qui dès 1872, souhaita devenir le premier homme à accomplir la traversée de la Manche à la nage. S’entrainant sans relâche pendant près de trois années sous les ordres de son mentor, le britannique et nageur professionnel Frederick Edward Beckwith, il mit un terme à sa préparation durant l’été 1875 et se lança dans cet immense défi le 12 août. Une première tentative avortée après sept heures de brasse, le nageur britannique devant renoncer à sa première traversée à cause d’une violente tempête rendant la mer déchainée. 

Il en fallait cependant bien plus pour décourager Matthew Webb. Le 24 août 1875 à 12h56, trois ans jour pour jour après l’échec de J.B Johnson, il s’élança à nouveau depuis Douvres avec en ligne de mire Calais et ses côtes Normandes environnantes. Enduit d’huile de Marsouin pour limiter les irritations dans cette grande étendue d’eau salée, il brava vents, marées, méduses et nagea de jour comme de nuit pour venir à bout de son périple. Malgré des courants défavorables entrainant un rallongement du parcours, Matthew Webb, escorté par trois navires tout au long de sa traversée, atteignit la côte française le lendemain à 10 heures et 41 minutes, après 21 heures et 45 minutes de traversée pour pas moins de 64 kilomètres parcourus. À 27 ans, il mettait un terme à cette série de tentatives infructueuses et devenait le premier homme à rallier la Grande-Bretagne à la France à la nage. 

L’exploit était grand. Il resta unique durant de nombreuses décennies. Oui, ce n’est que 36 ans plus tard, en 1911, qu’un second homme parvint à rééditer un tel accomplissement. Un certain Bill Burgess qui, au terme de sa 16ème tentative, pouvait enfin se targuer d’avoir réussi le défi accompli par Matthew Webb 36 ans plus tôt et décédé entre temps. Une tentative de traversée à la nage des chutes du Niagara lui fut fatale. Son temps de 23 heures et 40 minutes pouvant paraître totalement anecdotique, Bill Burgess se distingua en 1911 de son homologue Matthew Webb en réalisant cette traversée muni de lunettes de motard. Bien que pas véritablement étanches, elles permirent de résoudre un sérieux problème d’inconfort en offrant une meilleure visibilité tout en réduisant l’irritation au niveau de la zone oculaire. 

Le défi de la Manche à la nage au début du XX ème siècle : De rares traversées mais des performances mémorables

Malgré ces deux premiers exploits, les traversées de la Manche à la nage restaient des événements relativement rares. L’américain Harry Sullivan devenait le troisième homme à boucler ce périple en 1923, tandis que quelques jours après lui, l’Italo-Argentin Enrico Tiraboschi fut le premier à accomplir cette traversée dans le sens France-Angleterre, avec à la clé un temps record de 16 heures et 32 minutes. 

Puis, au cours de l’été 1926, ce fut autour d’un certain Georges Michel de se lancer dans ce périple fou, et devenir ainsi le premier Français à réaliser la traversée de la Manche à la nage, parcours qu’il effectua en partant de la France pour rejoindre la Grande-Bretagne. 

Mais quelques semaines avant lui, un exploit bien plus monumental venait de se réaliser dans cette même étendue d’eau. Le 6 août 1926, une Américaine répondant au nom de Gertrude Ederle posait le pied sur la plage de Kingsdown en Angleterre et devenait la première femme à accomplir la traversée de la Manche à la nage. Une performance d’autant plus grandiose qu’elle s’emparait à cette même occasion du record de cette épreuve. Seulement 14 heures et 32 minutes d’effort pour rallier la France à la Grande-Bretagne à la nage. Du jamais vu. Elle effaçait des tablettes l’Italien Tiraboschi, lui qui trois ans plus tôt avait mis près de deux heures de plus que la jeune américaine de 21 ans. 

Faut dire que Gertrude Ederle était loin d’être une inconnue dans le monde de la natation. Triple médaillée olympique aux Jeux de Paris de 1924, elle était détentrice du record du monde, féminin comme masculin, du 21 miles en natation. Un beau palmarès et une telle mainmise sur le monde de la natation qu’elle devait en grande partie à sa technique de nage, elle qui démocratisa le crawl en eau douce, bien plus efficace et jusque-là uniquement pratiqué en piscine lors de distances bien plus courtes. 

Mais, sans doute parce qu’il paraissait surhumain, son exploit fut entaché de nombreuses polémiques. On accusa notamment la nageuse américaine d’avoir reçu de l’assistance de la part des bateaux qui l’escortait. Des journaux britanniques et français remirent en cause la validité de ce record, arguant qu’une femme n’était physiquement point capable de supporter un tel effort sur une durée aussi longue. Des doutes et des remises en question allant de pair avec la forte hostilité à l’égard des Allemands que l’on retrouvait au lendemain de la guerre au sein de l’hexagone. Gertrude Ederle étant une fille de parents allemands ayant immigré aux États-Unis. 

Malgré ces controverses relativement peu fondées, la performance que venait de réaliser la jeune américaine fut tout aussi détonante que celle de Matthew Webb, 51 ans plus tôt. Accueillie en héros à son retour dans les rues de New York, elle eut droit aux louanges du président américain Calvin Coolidge qui la considéra comme « la meilleure fille de l’Amérique ». Son exploit lui valut également son entrée à l’International Swimming Hall of Fame, devenant à cette même occasion la première femme à intégrer ce haut degré de reconnaissance de la natation. 

Démultiplication des traversées de la Manche et prouesses historiques

Depuis, 150 ans après la première traversée de la Manche à la nage de l’histoire, ce sont près de 2 000 personnes, amateurs comme professionnels, qui vinrent à bout de cet Everest de la natation. Parmi eux, certains marquèrent l’histoire de cette épreuve avec des performances à couper le souffle, à commencer par celle d’Alison Streeter. Surnomée « La Reine de la Manche », cette britannique aujourd’hui âgée de 57 détient le record absolu du plus grand nombre de traversées effectuées, avec pas moins de 43 voyages à la nage entre la Grande-Bretagne et la France durant l’ensemble de sa carrière, dont une triple traversée en 1990. Un aller-retour suivi d’un aller simple entre la France et l’Angleterre qu’elle boucla après un peu moins de 35 heures d’effort, sans la moindre interruption. 

Pourtant, « La Reine de la Manche » ne détient pas le record du nombre de traversées consécutives. Le 17 septembre 2019, l’américaine Sarah Thomas, tout juste remise d’un cancer du sein diagnostiqué deux ans plus tôt, décrocha le record du monde de la plus grande distance parcourue d’une traite en eau douce en réalisant une quadruple traversée de la Manche. Une performance unique en son genre qu’elle acheva au bout de 54 heures et 10 minutes, soit plus de deux jours consécutifs à nager dans les eaux de la Manche. À peine croyable !

Thomas Gregory, lui, fut le plus jeune à rallier la Grande-Bretagne à la France à la nage. Lui qui réalisa un tel exploit en 1988 alors qu’il n’avait que 11 ans et 330 jours. Un record ne pouvant plus jamais être battu du fait que la Channel Swimming Association (société en charge d’orchestrer les traversées de la Manche), a interdit depuis 2000 la traversée de la Manche à la nage aux moins de 16 ans. 

À l’opposé, le sud-africain Otto Thaning est à 73 ans et 177 jours le nageur le plus âgé à avoir effectué la traversée de la Manche, performance qu’il réalisa en septembre 2014.

En termes de record de vitesse, la traversée la plus rapide fut quant à elle réalisée en septembre 2012 par l’Australien Trent Grimsey qui, bien aidé par des conditions météorologiques et maritimes largement favorables, fut auteur d’un temps référence de 6 heures et 55 minutes. Soit seulement deux petites minutes de mieux que la précédente marque jusque-là détenue par le Bulgare Petar Stoychev.

Côté français, bien que la traversée de la Manche soit un exercice bien moins pratiqué qu’en Grande-Bretagne (Une cinquantaine de français ayant réalisé cet exploit contre environ un millier de britanniques), certains nageurs furent auteur de performances mémorables. Pour n’en citer qu’un : Philippe Croizon. En 2010, cet ancien ouvrier ayant frôlé la mort seize ans plus tôt après avoir été touché par une ligne à haute tension, devint le premier amputé des quatre membres à effectuer la traversée de la Manche à la nage. Un exploit qu’il réalisa en combinaison et avec des palmes, après un peu plus de 13 heures d’effort. 

Voilà ce qu’est l’Everest de la natation. Chaque année, ils sont désormais entre 200 et 300 personnes à s’aventurer dans cette traversée de la Manche à la nage et espérer rejoindre au palmarès un certain Matthew Webb qui avait ouvert la voie il y a bientôt 150 ans. Mais ne vous y méprenez pas. Malgré l’intérêt toujours croissant pour ce défi hors normes, le taux de réussite y reste relativement faible et ne dépasse guère les 30%. Les longues heures à nager dans cette immense étendue d’eau ne dépassant jamais les 16 degrés ont bien souvent raison des nageurs, aussi expérimentés qu’ils soient, et devant tous prouver au préalable qu’ils possèdent le niveau requis pour se lancer dans une telle traversée. Malheureusement, ce défi fou prend parfois une tournure bien plus dramatique et, malgré l’encadrement de la traversée par des bateaux suiveurs, le cumul des heures d’effort dans cette eau froide est chaque année fatale à quelques nageurs de l’extrême, venus relever leur Everest à eux. 

Pour en savoir plus :

https://www.alopias.fr/la-manche

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