Considéré comme le fondateur du rugby, William Webb Ellis, ancien élève de la Rugby School, a atteint une notoriété telle que son nom est omniprésent dans le monde du ballon ovale. Tous les plus grands passionnés de rugby connaissent et clament sa traversée du terrain ballon à la main en pleine partie de football, incarnant ainsi l’insurrection de tous ceux souhaitant s’émanciper de ce jeu balle au pied. Le trophée de la coupe du monde de rugby à XV fut d’ailleurs baptisé en son honneur et à son geste considéré comme le fondement de cette discipline.
Mais un léger détail vient perturber cette histoire d’apparence si belle. William Webb Ellis n’a jamais traversé le terrain ballon à la main et, ce mythe fondateur du rugby s’avère être en réalité une légende montée de toute pièce. Mais alors, comment ce personnage est-il à jamais resté ancré dans l’histoire du rugby, alors que la fausseté de cette légende ne fait désormais plus aucun doute du côté des historiens ?
Ce que la légende raconte
Fils de James Ellis, un officier britannique, et d’Ann Webb, William Webb Ellis naquit le 24 novembre 1806 dans la ville de Salford, située non-loin de Manchester. À la mort de son père en 1811, décédé sur le champ d’honneur au cours de la Guerre d’Indépendance Espagnole, William Webb Ellis, alors âgé de cinq ans, ainsi que sa mère quittèrent Salford et s’installèrent 160 kilomètres plus au Sud dans la ville de Rugby. C’est ici qu’il intégra en 1816 la prestigieuse Rugby School, l’un des collèges publics les plus réputés d’Angleterre et, ici qu’il fut en 1823 l’auteur d’un geste qui restera à jamais gravé dans la grande histoire du rugby.
D’après la légende, lors d’une après-midi de novembre 1823, en pleine partie de folk football (l’un des ancêtres du football moderne), William Webb Ellis, lassé de voir son équipe perdre et de la monotonie des règles édictées, aurait bafoué les principes de cette discipline en s’emparant du ballon avec ses mains, avant de traverser le terrain avec et le déposer dans l’en-but adverse. Le jeu à la main étant à la Rugby School strictement interdit, il inventa-là l’un des préceptes de ce qu’allait devenir plus tard le rugby. Un geste de contestation, vis-à-vis du football et de toutes les autres disciplines se pratiquant balle au pied, faisant ainsi de William Webb Ellis le père fondateur de cette discipline née dans cette ville britannique.
Un récit aux sources douteuses attirant les contestations
Voilà ce qui en est pour la légende. À la suite de son prétendu geste ayant donné naissance au rugby, William Webb Ellis quitta la Rugby School en 1825, s’en alla poursuivre ses études à Oxford et devint prêtre. Une fonction qu’il exerça durant la majeure partie de sa vie avant de vivre paisiblement ses derniers jours à Menton dans le Sud de la France et ce, dans l’anonymat le plus total, loin, très loin du monde du rugby.
Devenu lors de son passage à Oxford un joueur de cricket, peu de chose lie en réalité William Webb Ellis au monde du rugby. Sa traversée du terrain ballon à la main en est à vrai dire la seule. Mais cet événement si important pour le monde de l’ovalie a t-il vraiment eut-lieu ? Bien que ce récit soit très apprécié par les amateurs de rugby, tout laisse de nos jours penser que cette histoire, aussi symbolique qu’elle puisse être, ne soit en réalité qu’une légende montée de toute pièce.
À commencer par sa date d’apparition. Le prétendu père fondateur du rugby étant décédé en 1872 à Menton, ce n’est qu’en 1876, soit quatre ans après sa mort, que ce fait est pour la première fois mentionné. Au travers d’un article de presse rédigé par un certain Matthew Bloxam, un ancien élève du Collège de Rugby ayant côtoyé William Webb Ellis durant sa jeunesse. Expliquant avoir appris cette histoire par le biais d’une source anonyme, il y écrivit que le passage du jeu au pied vers le jeu à la main était l’œuvre d’un certain Webb Ellis.
Revenant à la charge quatre années plus tard en 1880, toujours au travers d’un article de presse, Matthew Bloxam détailla cette fois-ci le récit que la source anonyme lui avait conté.
« En 1823, un garçon du nom de Ellis qui était entré à l’École à l’âge de neuf ans après les vacances de 1816 prit la balle dans ses bras. Ellis transgressa les règles et au lieu de reculer fonça devant lui vers les buts opposés. Je ne sais pas quel résultat cela eut sur le jeu, je ne sais pas d’avantage comment on fit de cette infraction une règle bien connue ou, comme c’est désormais le cas, une règle bien établie. »
Dès sa parution, de nombreux doutes furent émis concernant la véracité de ce récit. Certains anciens élèves tel les frères Thomas et John Harris s’élevèrent contre les propos de Matthew Bloxam, argumentant qu’ils n’avaient jamais eu connaissance de cette histoire et que lors de leur passage à la Rugby School au début des années 1830, l’usage des mains restait encore strictement interdit.
Apposer coûte que coûte un nom au père fondateur du rugby, l’inébranlable volonté de la Rugby School
Le récit de Matthew Bloxam et cette traversée de William Webb Ellis ballon à la main tombant quelques temps dans l’oubli, l’affaire reprit de plus belle en 1895 lorsqu’à la Rugby School, une commission d’anciens élèves se réunirent afin d’éclaircir les origines bien mystérieuses de l’invention du rugby. Une ambition légitime, tant ce collège a œuvré dans la création de cette discipline portant d’ailleurs son nom. Oui, ce fut bien ici, à la Rugby School, que furent édictées en 1846 les premières codifications du rugby, permettant ainsi de distinguer clairement cette pratique se jouant à la main du football et son utilisation des pieds.
En tant que pionnier du rugby, cette commission d’anciens élèves voulait donc attribuer à cette discipline un fondateur digne de ce nom, incarnant la réussite et le savoir-faire de la Rugby School. Et ce, quitte à revoir l’histoire un peu à leur manière…
Durant leur investigation, personne ne fut en mesure d’affirmer la véracité des propos émis par Matthew Bloxam. La légende de William Webb Ellis traversant le terrain balle à la main était certes belle, mais dès ses débuts peu de gens n’y croyaient et, cette insurrection d’anciens membres de la Rugby School informant ne jamais avoir eu connaissance de cette histoire ne fit que renforcer les doutes autour de cette dernière.
En revanche, interrogé par la commission d’anciens élèves, un certain Thomas Hughes fit sensation en contant un récit similaire intervenu cependant quelques années plus tard, autour de l’année 1838. Ayant réalisé ses études au sein de la Rugby School, ce dernier affirma qu’un certain Jem Mackie, en pleine partie de football, prit le ballon dans ses mains et parti en direction de l’en-but adverse.
Souhaitant à tout prix mettre un nom sur l’inventeur du rugby, la commission d’anciens élèves avaient désormais devant eux deux versions divergentes. D’un côté William Webb Ellis, dont son geste fut sans aucun doute qu’une pure invention. De l’autre, Jem Mackie, un récit peut-être plus probable mais encore une fois guère certain. Alors qui choisir ? Lequel de ces deux élèves devait être élevé au rang de père fondateur du rugby ? Si la version Jem Mackie présentée par Thomas Hughes semble d’avantage concorder avec la naissance officielle du rugby (les règles du rugby furent édictées en 1846, soit huit ans après le supposé geste de Jem Mackie), un détail des plus importants fit pencher la balance en faveur de William Webb Ellis.
Et quel détail ! Ancien élève du Collège de Rugby, Jem Mackie n’avait guère bonne réputation. Ce dernier fut d’ailleurs exclu de cet institut en 1843, pour une raison qui ne nous est de nos jours pas connue. Alors, que sa traversée du terrain balle à la main soit véridique ou non, il était impossible pour le comité d’anciens élèves de la Rugby School de faire d’un mauvais garçon de ce type le fondateur du rugby moderne.
William Webb Ellis, lui, n’avait guère fait de remous durant son passage au Collège de Rugby. Il incarnait-là le parfait élève, s’étant approprié avec réussite les codes et des valeurs de ce prestigieux établissement. Le choix était donc fort logique. Le comité d’anciens élèves s’accordèrent pour ériger William Webb Ellis comme le père fondateur de cette discipline. Et ce au dépend très certainement de la vérité.
D’ailleurs, selon les dires du journaliste britannique Gordon Rayner, Matthew Bloxam aurait même possiblement été le premier homme à l’origine de cette interversion des noms. Face à la mauvaise réputation dont jouissait Jem Mackie, il aurait remplaçé dans son récit originel conté en 1876 le nom de ce dernier par celui de William Webb Ellis.
La réunion des anciens élèves de la Rugby School ayant permis, avec plus ou moins de certitude, de mettre un nom sur l’inventeur du rugby, le prétendu geste de William Webb Ellis passa dès lors à la postérité. À commencer au sein du collège de Rugby qui, désireux de cultiver leur réputation d’établissement fondateur du rugby, érigèrent une statue en l’honneur de leur ancien élève courant ballon à la main. Une pierre commémorant le geste de William Webb Ellis y est également apposée sur un mur de la Rugby School et ce depuis 1895.
Partout dans le monde du ballon ovale, de nouvelles références émergèrent en l’honneur de ce supposé père fondateur. En Belgique, le plus grand club de rugby du pays fut à ses débuts nommé William Ellis lors de sa fondation à l’orée des années 1930. Puis, en 1987, ce fut autour de la Fédération Internationale de Rugby à XV de louer un bel hommage à ce William Webb Ellis, en baptisant à son nom le trophée de la Coupe du Monde nouvellement créée. Un honneur suivi d’une nouvelle marque de considération survenue en 2006, lorsque William Webb Ellis fut le premier à intégrer le Temple de la renommée édifié cette année-là par World Rugby.
Une succession d’hommage ayant définitivement permis de faire passer William Webb Ellis à la postérité en le présentant comme le père fondateur du rugby, et ce malgré les doutes et les légitimes suspicions autour de son geste, pouvant être considéré comme une simple légende.
Pour en savoir plus :
https://www.cairn.info/revue-empan-2010-3-page-98.htm
https://www.dailyrecord.co.uk/news/local-news/should-rugby-world-cup-trophy-6461576