Si des quatre lancers pratiqués en athlétisme le javelot est celui qui enregistre les meilleures performances en matière de distance, sachez que l’actuel record du monde pointant à 98,48 mètres pourrait être aisément battu si les javelots venaient à être conçus de manière optimale. Retour sur l’histoire d’une discipline volontairement bridée pour des raisons de sécurité.
Des lancers de javelot mesurés au-delà des 100 mètres par le passé
D’un sport de précision durant l’Antiquité, au cours duquel il fallait viser le centre d’une cible, à une discipline pratiquée des deux mains à la fin du XIXème siècle (un lancer avec la main droite puis un avec la gauche, le vainqueur étant déterminé au cumul des deux jets), le lancer de javelot est devenu depuis le début du XXème siècle un concours mêlant force et technique dont le but est de lancer l’engin le plus loin possible. Inévitablement, ce principe poussa bon nombre de lanceurs à revoir et améliorer la conception du javelot afin que ce dernier puisse planer plus longtemps dans les airs et gagner de précieux mètres sur leurs rivaux.
La première innovation majeure vint en 1951 lorsque le lanceur américain Bud Held, passionné d’aérodynamique, conçut le premier javelot creusé à l’intérieur. Tout en respectant les dimensions imposées à cette époque par l’IAAF (2,60m de long pour 800g), le javelot mis au point par Bud possédait un diamètre nettement supérieur et ainsi une bien plus grande surface de portance permettant à l’engin de planner dans les airs. Avec ce dernier, il effaça des tablettes le précédent record du monde avec un jet mesuré en 1953 à 80,41 mètres, le premier au-delà des 80m. Une marque qu’il améliora quelques années plus tard grâce à une nouvelle innovation : L’arrivée de l’aluminium au dépend du bois permettant de réduire les vibrations du javelot.
Mais pour certains, force est de constater que ces nouveautés n’étaient guères suffisantes. En 1956, un lanceur espagnol répondant au nom de Félix Erausquin mit au point une technique de lancer aussi ingénieuse que dangereuse. À la manière d’un lanceur de disque ou de marteau, il tournait sur lui-même, javelot coincé entre son torse et son bras, afin de jouir de la force centrifuge lorsqu’il lâchait le projectile. Le tout, en enduisant ce dernier de savon noir afin qu’il puisse plus facilement s’échapper.
La méthode était imparable. Félix Erausquin franchit avec aisance la barre des 100m alors que le record du monde pointait autour des 85 mètres. Mais la performance ne fut jamais homologuée par l’IAAF. Trop dangereux, voyant que bon nombre de ses lancers terminaient dans les tribunes, on interdit immédiatement ce lancer en rotation pour le bien de tous et la sécurité des autres.
Finalement, ce ne fut que trois décennies plus tard que la barre des 100 mètres fut véritablement franchie. En juillet 1984, le lanceur Allemand Uwe Hohn envoya son javelot planneur à 104,80 mètres. Pulvérisant la précédente marque de référence de plus de cinq mètres, l’engin traversa l’ensemble du terrain et vint se planter à quelques pas seulement de l’aire de saut en hauteur. Une performance surhumaine, témoignant du danger des progrès réalisés en matière de javelot.
Le lancer de javelot, une discipline désormais bridée pour des raisons de sécurité
Alors, pour anticiper tout incident et éviter qu’un javelot vienne un jour terminer sa course sur le sautoir ou pire en tribune, l’IAAF réagit instantanément en annonçant vouloir brider la discipline. En 1986, sort le nouveau modèle de javelot devant être utilisé en compétition officielle. Avec un centre de gravité avancé de quatre centimètres, sa performance est réduite de l’ordre de 10%. Il possède en outre l’avantage de piquer plus rapidement et s’enfoncer dans le sol au moment de l’impact, favorisant le travail des juges.
Des 104 mètres d’Uwe Hohn que l’on effaça volontairement des tablettes, on revint à des distances bien plus acceptables tournant autour des 85 mètres. Le javelot était en passe de devenir à nouveau une discipline sans grand danger… à un détail près. Le nouveau règlement apporté en 1986 ne mentionnait aucune spécification quant à la surface du javelot. Certains lanceurs entourés de chercheurs se sont ainsi amusés à confectionner des engins munis de trous à l’arrière afin de retrouver cet effet de portance. Des modifications utilisées par le Finlandais Seppo Räty, auteur en 1991 d’un jet mesuré au-delà des 96 mètres détrônant de plus de cinq mètres la marque de référence établie avec ces nouveaux modèles.
Face à cette nouvelle menace, la Fédération Internationale d’Athlétisme se devait d’être intransigeante. Refusant d’homologuer cette performance, elle interdit en compétition les javelots personnels ainsi que la modification de leur surface, se devant de rester lisse et sans ajout de composés aérodynamiques.
Depuis désormais trente ans, ce règlement visant à brider les javelots pour des raisons de sécurité n’a plus évolué. Mais les performances, elles, ont tout de même continué de croitre. Malgré ces nouveaux modèles censés être moins performants, le lanceur Tchèque Jan Zelezny réalisa le 25 mai 1996 à Iéna un jet mesuré à 98,48 mètres. L’actuel record du monde, qu’un certain Johannes Vetter pourrait bien être amené à battre. Ce lanceur allemand signa en effet en 2020 un lancer au-delà des 97 mètres, s’adjugeant la deuxième meilleure performance mondiale de l’histoire avec ces nouveaux modèles.