Crédit : CC BY-SA 2.0 by roger4336
Monter sur la plus haute marche du podium olympique, voir son drapeau flotter devant soi et entendre son hymne national être joué en son honneur. Pour bien des sportifs, cet accomplissement constitue le rêve d’une vie. Malheureusement, bien qu’il cochât tous les critères pour y prétendre, le champion français de lutte Émile Poilvé ne put jouir d’un tel privilège. Sacré champion olympique aux Jeux de Berlin de 1936, il reçut sa médaille d’or en dessous d’un drapeau turc tandis que l’organisation jouait l’hymne égyptien. Une simple confusion ? Pas sûr…
Du gouren aux Jeux Olympiques, l’itinéraire d’Émile Poilvé
Originaire du petit village de Mégrit situé dans les Côtes-d’Armor, Émile Poilvé fit ses premiers pas dans le monde de la lutte en pratiquant sa version bretonne dénommée gouren. En parallèle de sa venue à Paris au milieu des années 1920, il s’orienta vers la lutte libre et gréco-romaine, deux styles que ce Breton devenu policier de métier pratiquait au sein de l’Association Sportive de la Préfecture de Police.
Doué techniquement et doté d’une force remarquable, Émile Poilvé s’imposa rapidement comme l’un des meilleurs lutteurs tricolores. Devenu champion de France pour la première fois en 1928, il remportait les années suivantes onze nouveaux titres nationaux, une succession de victoires lui ouvrant les portes des plus grandes compétitions internationales. Après une première aventure olympique en 1928 qu’il acheva à la treizième place dans la catégorie des poids moyens du concours de lutte gréco-romaine, Émile Poilvé décrocha en 1930 sa première médaille internationale lorsqu’il se para de bronze aux championnats d’Europe de lutte libre. Deux années plus tard, une blessure à la cheville ne lui permit de défendre pleinement ses chances aux Jeux de Los Angeles. Âgé de 29 ans, ce multiple champion de France n’avait pas encore réussi à imposer sa loi sur la scène internationale. Le poids de l’âge se faisant doucement ressentir, Émile Poilvé le savait, les Jeux de Berlin de étaient son dernier espoir pour grimper sur la plus haute marche d’un podium olympique.
Un rêve achevé dans la confusion
Dans une forme étincelante, le Breton de naissance fit de la Deutschlandhalle de Berlin son terrain de chasse. Sans pitié pour ses adversaires qu’il dominait les uns après les autres, Émile Poilvé remporta tous ses combats et s’offrait une place en finale face à l’Américain Richard Voliva. Une nouvelle fois, le Français dictait sa loi. Bien qu’une défaite sur décision des juges aurait pu, grâce à ses bons résultats des tours précédents, lui offrir la médaille d’or, Émile Poilvé ne calcula pas un quelconque instant, fit tomber son adversaire et alignait une sixième victoire de suite. En ce 4 août 1936, au bout de la nuit le lutteur tricolore décrochait à 33 ans la plus belle des récompenses. L’aboutissement de toute une carrière qu’il comptait pleinement savourer, l’or autour du cou à entendre la Marseillaise et voir le drapeau tricolore flotter au-dessus de sa tête.
Du moins c’est ce qu’il pensait vivre en cette nuit du 4 août 1936. Mais en lieu et place des attributs français, les officiels allemands hissèrent en haut du mât un drapeau turc et jouèrent l’hymne égyptien en l’honneur du plus breton de tous les lutteurs. Une simple erreur ? La confusion semble si grossière que certains historiens spéculent en faveur d’un coup monté par les organisateurs nazis. Faut dire qu’à trois années d’un second conflit mondial, Français et Allemands ne sont pas les meilleurs amis du monde et règne partout en Europe un climat géopolitique au bord de l’implosion. L’écoute de la Marseillaise et la vue du drapeau français sur le sol allemand aurait peut-être provoqué de sérieux maux de tête que les organisateurs souhaitèrent s’éviter. D’autant plus que la veille, l’hymne tricolore résonnait déjà au sein de cette Deutschlandhalle lorsque Louis Hostin fut sacré champion olympique d’haltérophilie en s’imposant de peu devant un adversaire… allemand.