Pourquoi les audiences des événements sportifs sont à prendre avec précaution ?

Pourquoi les audiences des événements sportifs sont à prendre avec précaution ?

Crédit : CC BY 3.0 by Agência Brasil

1,5 milliards de téléspectateurs pour la simple finale de la Coupe du Monde 2022, 3,5 milliards en cumulé sur l’édition 2018 et plus de 3 milliards de téléspectateurs que ce soit pour les Jeux Olympiques de Tokyo ou une édition du Tour de France. Les organisateurs des plus grandes compétitions sportives aiment montrer la réussite de leurs événements par le prisme des audiences réalisées. Des chiffres calculés par eux-mêmes, via des méthodes parfois très différentes et ne reflétant pas toujours la réalité. Alors, doit-on vraiment faire confiance à ces audiences avancées par les organisateurs ?

Quelles sont les différents types d’audiences ?

Afin de mieux comprendre le comportement des téléspectateurs vis-à-vis des programmes diffusés, les chaines de télévision peuvent s’appuyer sur un large champ de donnés que l’on englobe sous le nom générique d’audiences. En fonction de la méthode de calcul utilisée, le résultat final ne sera pas le même et les chiffres obtenus peuvent parfois varier du simple au double.

La donnée la plus couramment relayée par les journaux et les chaines elles-mêmes reste l’audience moyenne. Cette dernière correspond au nombre de téléspectateurs qui étaient présents en moyenne durant toute la durée d’une émission ou d’une rencontre sportive. Dans le cadre de la finale de la Coupe du Monde de 2022, de la première minute de jeu à l’ultime penalty converti par Gonzalo Montiel, TF1 a par exemple enregistré une audience moyenne de 24,1 millions de téléspectateurs, établissant au passage un nouveau record en France, aucune chaine n’ayant jusque-là réussi à réunir autant de téléspectateurs lors d’un même programme.

L’audience instantanée est similaire à l’audience moyenne mais le temps de l’étude est relativement plus court. On ne parle pas cette fois-ci d’un programme tout entier mais de quelques minutes ou un quart d’heure dans le cadre de la radio. C’est via cette donnée que l’on définit le pic d’audience, lorsque le nombre de téléspectateurs présents devant une même émission atteint son paroxysme. Toujours dans le cadre de la finale de la Coupe du Monde de 2022, le pic d’audience de TF1 fut atteint à 18h53 durant la séance de penalty lorsque 29,3 millions de téléspectateurs avaient les yeux rivés sur les tireurs tricolores face au gardien argentin.

D’autres données peuvent également être étudiées et dévoilées par les chaines de télévision telles l’audience cumulée, correspondant à l’ensemble des téléspectateurs qui ont regardé ne serait-ce qu’une petite partie de l’émission en question, ou encore l’audience en entier tenant compte cette fois-ci uniquement des téléspectateurs les plus fidèles qui ont assisté à l’émission en entier. Selon le critère que l’on souhaite mesurer, l’audience dévoilée par un média peut ainsi fortement varier. Comme elles se définissent sur un délai de temps bien plus restreint, une audience instantanée ou une audience cumulée seront ainsi toujours supérieures à une audience moyenne qui sera à son tour supérieure à une audience en entier. Des chaines désireuses de faire gonfler leurs chiffres peuvent ainsi présenter leurs audiences sans spécifier la nature de ces dernières.

Enfin, la donnée la plus intéressante à utiliser et reflétant le mieux le comportement des téléspectateurs reste sans doute la part d’audience. S’exprimant en pourcentage, elle correspond à la quantité de spectateurs ayant suivi une émission par rapport à la totalité des téléspectateurs présents à ce même moment devant leur poste de télévision. TF1, lors de cette finale de la Coupe du Monde de 2022 avait réuni 24,1 millions de téléspectateurs en moyenne pour une part d’audience de 81%. Autrement dit, durant les 120 minutes de la finale, un peu plus de huit téléspectateurs sur dix regardaient la chaine numéro un.

Cette dernière donnée est d’ores et déjà révélatrice de la capacité à jouer sur les chiffres. Au terme de la finale de l’édition 2022, TF1 s’est félicité d’avoir réalisé le record du plus grand nombre de téléspectateurs réunis sur une même chaine en France. Mais cela fait-il de cette finale l’événement sportif le plus regardé de la télévision française ? Tout dépend de la donnée analysée. La comparaison avec la finale de la Coupe du Monde de 1998 en est d’ailleurs le parfait exemple. Le sacre des Bleus face aux Brésiliens avait certes attiré un total de 23,6 millions de téléspectateurs (soit moins que la finale de 2022), mais sa part d’audience s’élevait quant à elle au-delà des 88%. En 1998, près de neuf personnes sur dix visionnant la télé regardaient la grande finale contre huit sur dix en décembre 2022. Des pourcentages pouvant laisser supposer que la victoire de la bande à Zidane était plus suivie que la cruelle défaite des Bleus face à l’Argentine.

Quelle est la méthode de calcul des audiences en France ?

L’organisme en charge de calculer les audiences en France est le même depuis bientôt quarante ans. Fondée en 1985, la société anonyme Médiamétrie calcule, analyse et décortique les scores d’audience effectués par toutes les émissions du paysage audiovisuel français avant d’envoyer chaque nuit leurs résultats aux diverses chaines de télévision.

Pour y parvenir, l’entreprise peut compter sur un panel de 11 400 individus volontaires répartis dans 5 000 foyers, possédant chez eux un boitier dénommé audimètre. Grâce à une signature sonore inaudible pour l’homme et différente pour chaque chaine, ce dispositif permet de savoir quand la télé est allumée et quel programme est visionné. 

Afin d’avoir une étude plus précise concernant la durée d’écoute et l’âge moyen des téléspectateurs, chacun de ces 5 000 foyers dispose d’une télécommande munie d’autant de boutons qu’il n’y a d’individus. Lorsque l’un d’eux décide de s’installer devant la télévision, il manifeste sa présence auprès de Médiamétrie en appuyant sur la touche qui lui est allouée. Ce procédé évite notamment de fausser le calcul des scores d’audiences à cause de télés allumés sans que personne ne la regarde. Pour qu’un individu soit considéré comme un téléspectateur, ce dernier doit en effet être resté un certain temps devant l’émission ou l’événement sportif en question.

Depuis quelques années, l’action de Médiamétrie ne se limite plus aux simples postes de télévision installés dans ces 5 000 foyers. Outre les nouveaux canaux de visionnage tel les plateformes de streaming, la société intègre à ses données les émissions suivies hors du domicile, directement dans des lieux de rassemblement. Dans le cadre d’un match de football, cela correspond aux téléspectateurs suivant la rencontre depuis un bar ou une fan zone. Afin d’y parvenir, elle équipe depuis 2020 quelques individus volontaires d’un boitier portatif, capable de reconnaitre grâce au son émis quel programme ou événement sportif est regardé par ladite personne lorsqu’elle ne se trouve pas chez elle. Du fait que cette donnée n’était pas prise en considération par le passé, l’arrivée de ce boitier portatif a inévitablement fait gonfler les audiences TV des divers événements sportifs, propices aux rassemblements de plusieurs millions de personnes dans les bars ou fan zone. 

Lorsque toutes ces données sont recueillies, Médiamétrie s’empresse ensuite de les fournir aux différentes chaines de télévision et à tous ceux ayant souscrit à leur programme. Ces derniers ont ainsi accès à l’audience moyenne, cumulée et instantanée de chaque programme, mais aussi la part d’audience, la répartition des téléspectateurs par tranche d’âge ou encore la durée d’écoute des émissions. Des données essentielles permettant de modifier les programmes et les créneaux de diffusion pour les chaines ou encore définir une stratégie publicitaire du côté des annonceurs.

L’art de jouer avec les chiffres

En ayant connaissance de toutes ces données, il est désormais plus facile de comprendre comment les plus grands événements sportifs savent manier les chiffres à la perfection lorsqu’ils dévoilent fièrement le nombre de téléspectateurs qu’ils ont enregistré. Et pour l’illustrer, rien de mieux que de comparer deux mastodontes se vantant de trôner au sommet des événements sportifs les plus suivis au monde : La Coupe du Monde de football et le Tour de France. 

Tout comme les Jeux Olympiques, les organisateurs de ces trois épreuves admettent à chaque nouvelle édition réunir plus de 3 milliards de téléspectateurs sans ajouter plus de précision. Il est dès lors facile de croire que le Tour de France suscite auprès des téléspectateurs internationaux autant d’intérêt que la Coupe du Monde de football. Mais concrètement, une épreuve de cyclisme de trois semaines peut-elle rivaliser le sport le plus populaire de la planète et son tournoi mondial ?

La réponse est facile à deviner. Au terme de l’édition 2018 de la Coupe du Monde de football, la FIFA a annoncé que l’intégralité de la compétition a généré une audience cumulée de 3,5 milliards de téléspectateurs et 1,12 milliards pour la finale France-Croatie. En d’autres termes, à en croire les mots de la Fédération Internationale de Football, près d’une personne sur deux dans le monde aurait regardé ne serait-ce qu’une minute de ce Mondial 2018, que ce soit via la télévision ou sur n’importe quel support numérique. 

En parallèle, Amaury Sport Organisation, organisateur de la Grande Boucle annonce chaque année que sa célèbre course de juillet attire entre 3 et 3,5 milliards de téléspectateurs et ferait ainsi concurrence à la Coupe du Monde de football et sa ferveur internationale sans égale. Dans la réalité, le bilan d’audience du Tour de France ne rivalise guère avec celui du Mondial de football.

L’économiste du sport Daam Van Reth s’est penché sur la question. Spécialisé dans les audiences des plus grands événements sportifs, il s’avérait perplexe quant au fait que la Grande Boucle puisse attirer plus de 3 milliards de téléspectateurs, sachant que certains rapports réalisés par des agences externes estimaient une audience cumulée de plus de 300 millions de téléspectateurs sur les trois semaines de course. D’après son analyse relayée au travers du journal Le Monde, cet écart abyssal entre les chiffres avancés et la réalité s’explique par la méthode de calcul utilisée par Amaury Sport Organisation. 

Afin de faire gonfler leurs chiffres, l’organisateur du Tour de France additionne les audiences cumulées de l’ensemble des 21 étapes et de toutes les émissions précédents et suivants ces étapes. Ainsi, un simple téléspectateur qui aura regardé pendant les trois semaines de course l’intégralité des étapes sera compté 21 fois. S’il suit également tous les jours l’émission Vélo Club puis le résumé de l’étape diffusée le soir, il sera compté 42 fois de plus. Et à chaque fois qu’il tombe sur un replay ou un autre résumé réalisé par une chaine tierce, ce même individu sera compté une nouvelle fois. En utilisant ce procédé, un téléspectateur particulièrement assidu peut ainsi être compté plus d’une centaine de fois par Amaury Sport Organisation, bien qu’il ne s’agisse en réalité que d’une seule et même personne. Le chiffre de 3 milliards est donc très facilement atteignable mais dans la réalité, une étape du Tour de France ne réunirait que 15 à 20 millions de téléspectateurs en moyenne. 

Malgré la beauté des paysages traversés, la moitié de la population mondiale n’a donc pas les yeux rivés sur le patrimoine français et la bataille livrée par les coureurs du Tour. À titre de comparaison, si cette méthode de calcul utilisée par Amaury Sport Organisation avait été reprise par la FIFA, une Coupe du Monde de football pourrait être regardée par plus de 30 milliards de personnes dans le monde. Et à moins que nos antennes relais soient suffisamment puissantes pour que le signal puisse être capté par les extraterrestres, un tel chiffre est tout bonnement impossible à atteindre si l’on parle de téléspectateurs uniques.

Pour en savoir plus :

https://www.persee.fr/doc/reso_004357302_1997_mon_1_1_3877

https://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/mondial-2022-comment-sont-calculees-les-audiences-tele-1881629

Quelle audience pour le Tour de France ?

https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2018/10/01/la-ryder-cup-n-est-pas-le-troisieme-evenement-plus-regarde-au-monde-ni-le-tour-de-france_5362968_4355770.html

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