En plus d’un siècle d’existence, le marathon a fait rêver des millions de coureurs qu’ils soient professionnels ou simples amateurs. Les plus grandes heures de l’histoire de l’athlétisme se sont parfois écrites au fil de ces 42 kilomètres, par le biais d’immenses champions ayant laissé pour l’éternité une empreinte indélébile sur ce mythe que l’on nomme marathon. En voici dix d’entre eux. Des athlètes ayant façonné l’histoire du marathon, battu des records et réalisé des exploits devenus mythiques.
Spyrídon Loúis, à jamais le premier
Ce jeune athlète grec remporta le tout premier marathon olympique, couru en 1896 à l’occasion des Jeux d’Athènes.
S’élançant de la ville de Marathon comme le voulait la légende du messager Philippidès, Spyrídon Loúis et les seize autres concurrents présents au départ empruntèrent un parcours d’une quarantaine de kilomètres jusqu’à la capitale grecque. Parti prudemment, il prit les commandes de la course en toute fin d’épreuve suite aux abandons successifs des hommes de tête, peu habitués à courir de si longues distances. Au terme de 2 heures et 58 minutes d’effort, Spyrídon Loúis rallia Athènes et devint le vainqueur du premier marathon de l’histoire.
Thomas Hicks, le champion olympique dopé à la mort aux rats
Un parcours très vallonné, des routes poussiéreuses et en mauvais état ainsi qu’un départ donné à 15 heures sous 32°C. On peut le dire, le marathon des Jeux Olympiques de 1904 fut certainement le pire de l’histoire.
Entrainant l’abandon de nombreux concurrents, passant pour une partie d’entre eux tout près de la mort tant leur niveau de fatigue et de déshydratation s’avérait élevé, certains athlètes, face au caractère inhumain de l’épreuve, n’hésitèrent pas à user de la triche pour venir à bout de ces 40 kilomètres.
On put notamment citer l’Américain Fred Lorz, franchissant la ligne d’arrivée en premier puis aussitôt déclassé pour avoir réalisé une grande partie du parcours en voiture. Dans ce chaos total mêlant triche et abandon, la victoire revint finalement à Thomas Hicks, un athlète britannique courant pour les États-Unis et ayant lui aussi été copieusement aidé durant l’épreuve.
Et pas de n’importe quelle manière ! Alors qu’il lui restait un peu plus de dix kilomètres à courir, Hicks fut pris d’une grosse fatigue liée à la déshydratation. Ses assistants lui interdisant de s’arrêter, ils lui firent ingérer un mélange de blanc d’œuf et de strychnine, une molécule hautement toxique ayant la particularité de stimuler le système nerveux lorsqu’elle est prise à petite dose. Il y a quelques années encore, il s’agissait du poison utilisé dans la mort aux rats.
Recevant une seconde dose de strychnine quelques kilomètres plus loin, Thomas Hicks fut pris d’hallucinations, ne parvenait plus à tenir debout et dut être porté sur les derniers mètres, mimant de courir alors que ses jambes ne touchaient plus le sol. Malgré ces pratiques très limites, les juges lui attribuèrent la victoire après 3h28 de course, le marathon le plus lent de l’histoire des Jeux.
Emil Zátopek, l’homme à tout faire
Quadruple champion olympique, détenteur du huit records du monde en simultané, invaincu sur 10 000 mètres entre 1948 et 1954, le Tchécoslovaque Emil Zatopek fut sans aucun l’un des plus grands coureurs de l’histoire, héros du marathon d’hier.
Ses méthodes d’entrainement, révolutionnaires pour l’époque, incluaient des exercices de fractionné et lui permirent de briller du 1500m au marathon, avec une grosse appétence pour le 5 000 m et le 10 000 m.
À l’occasion des Jeux Olympiques d’Helsinki en 1952, Zatopek signait l’un des plus grands exploits de l’athlétisme en réalisant un triplé inédit. En l’espace d’une semaine, le Tchécoslovaque décrocha l’or sur 10 000m puis 5 000m, avant de s’aligner sur le marathon et y remporter un troisième titre olympique en un temps de 2h23, mettant plus de deux minutes à son dauphin, l’Argentin Reinaldo Gorno.
Alain Mimoun, le dernier champion olympique tricolore
Le grand ami et rival d’Emil Zatopek signa la plus belle performance de sa carrière aux Jeux de Melbourne en 1956, il y a de cela plus de 65 ans. Un exploit d’autant plus grand qu’il s’agissait là de son tout premier marathon.
N’étant pas annoncé parmi les favoris, Alain Mimoun se sentait en très grande forme en ce 1erdécembre 1956. Ayant eu d’excellentes sensations lors de ses derniers entrainements, portant le dossard numéro 13 et venant d’apprendre qu’il était père d’une petite fille dénommée Olympe, tous les signaux physiques, psychiques et émotionnels étaient au vert pour le coureur originaire d’Algérie.
Le départ donné en plein après-midi sous une chaleur accablante, Mimoun et un groupe d’une dizaine de coureurs se détachèrent rapidement. À mi-course, l’athlète français s’échappa avec l’Américain John Kelley puis distança ce dernier pour se retrouver seul en tête. L’écart était fait, il ne cessera de croitre jusqu’à l’arrivée. Malgré une fin de parcours effectuée dans la douleur, Mimoun entra seul en tête dans le stade olympique de Melbourne, ovationné par les 120 000 spectateurs présents ce jour-là. Il termina la course en 2h25, devenant le troisième français champion olympique du marathon après Michel Théato en 1900 et Boughéra El Ouafi en 1928.
Une fois la ligne franchie. Mimoun attendit son grand rival Emil Zatopek. Terminant à une anecdotique sixième place après s’être fait opérer d’une hernie un mois plus tôt, le Tchécoslovaque ne put contenir sa joie lorsqu’il apprit la victoire du marathonien Français. « Alain, je suis heureux pour toi ! » lança-t-il. Les deux hommes se prirent dans les bras durant de nombreuses secondes.
Abebe Bikila, le premier grand marathonien d’Afrique Noire
La vie de cette figure historique du marathon n’aurait pu être écrite par les meilleurs scénaristes hollywoodiens tant elle frôle l’impensable. Né le 7 août 1932, jour du marathon olympique de Los Angeles, Abebe Bikila n’était pas prédestiné à une carrière de coureur lorsqu’il s’engagea au sein de la garde impériale du Roi d’Éthiopie Haïlé Sélassié. Ce n’est qu’en 1959, alors âgé de 27 ans que Bikila fut repéré par un entraineur Éthiopien pour ses qualités athlétiques qu’il développait en s’entrainant seul.
Convaincu de son potentiel, la fédération éthiopienne d’athlétisme le convoqua pour le marathon des Jeux de Rome de 1960 en tant qu’athlète remplaçant. Devant pallier le forfait de son compatriote Wami Biratu à la dernière minute, Abebe Bikila se présenta sur la ligne de départ du marathon en compagnie des autres concurrents, sans chaussures, les pieds totalement nus pour une question de confort.
Dans la capitale italienne, l’Éthiopien se détacha en compagnie du favori marocain Rhadi Ben Abdesselam. À un kilomètre de l’arrivée, une ultime accélération lui permit de se défaire de son rival et s’imposer seul en 2h 15min 16s. Abebe Bikila rentra à tout jamais dans l’histoire de l’athlétisme et des Jeux Olympiques. Courant pieds nus, il s’emparait du record du monde de la discipline et devenait surtout le premier athlète d’Afrique Noire titré aux Jeux Olympiques.
Quatre années plus tard, aux Jeux de Tokyo, l’athlète Éthiopien récidiva en portant cette fois-ci des chaussures aux pieds. Réalisant un nouveau record du monde avec un temps de 2h12, Abebe Bikila devenait le premier double champion olympique sur marathon. Une performance d’autant plus remarquable qu’il s’était fait opérer un mois plus tôt de l’appendicite, compromettant fortement ses chances de réussite.
Devenu un véritable héros en Éthiopie, Bikila décédait malheureusement en 1973 d’une hémorragie cérébrale. Le parcours de ce grand champion s’achevait précocement, à cause d’une complication faisant suite à un accident de la route survenu quatre années plus tôt, durant lequel ce maitre du marathon perdit l’usage de ses jambes.
Bobbi Gibb, la première femme à courir le marathon
Jusqu’à la fin des années 1960, les médecins, entraineurs et directeurs de course étaient formels. Les femmes n’avaient pas les capacités physiques requises pour courir un marathon et, se lancer sur une telle course présentait un danger pour leur santé. Ainsi, aux États-Unis, avant l’ouverture du marathon aux femmes, la plus grande distance sur laquelle la gent féminine pouvait s’aligner était l’épreuve du mile et demi, soit environ 2,5km.
Mais Roberta Gibb dit « Bobbi » Gibb ne concevait pas les choses ainsi. Convaincue que les femmes étaient, au même titre que les hommes, capables de courir 42 kilomètres, elle s’entraina durant deux années sous les conseils de son mari, dans l’optique de s’aligner sur le marathon de Boston en 1966.
Sachant que l’épreuve était réservée aux hommes, Bobbi Gibb se fit la plus discrète possible. Sans dossard, portant un bermuda et un large sweat à capuche cachant sa chevelure, elle se glissa dans un buisson à quelques centaines de mètres seulement de la ligne de départ. Le coup de feu donné, Bobbi Gibb se faufila parmi le flot de coureur et débutait son périple de 42 kilomètres.
Tout au long du parcours, le bruit qu’une femme s’était introduite sur le parcours du marathon de Boston se répandit comme une trainée de poudre. Certains hommes la reconnurent et se mirent à courir autour d’elle en guise de protection. Rassurée, Bobbi Gibb retira son long sweat à capuche et dévoila une partie de sa féminité qu’elle avait volontairement masquée. Elle boucla l’épreuve en 3h21, franchissant l’arrivée sous l’ovation du public avant d’être félicitée par le gouverneur du Massachussetts John Volpe.
Terminant l’épreuve parmi le premier tiers des athlètes engagés, Bobbi Gibb prouvait de fort belle manière que les femmes étaient aptes physiquement à terminer un marathon. Une performance immédiatement relayée par la presse laissant entrevoir la possibilité d’une ouverture de l’épreuve aux femmes. Mais malheureusement, à cette époque, les avis n’étaient pas encore unanimes.
Kathrine Switzer, la première inscrite officiellement à un marathon
Alors que Bobbi Gibb recourut dès 1967 le marathon de Boston dans l’illégalité la plus totale, lors de cette même édition, une femme ayant eu vent de son histoire décida de s’essayer à cette épreuve en portant, cette fois-ci, un véritable dossard synonyme d’inscription.
Étudiante en journalisme et grande pratiquante de cross-country, Kathrine Switzer avait 20 ans lorsqu’elle demanda à son entraineur de courir le marathon de Boston à ses côtés. D’abord réticent, les excellentes facultés d’endurance dont la jeune coureuse faisait preuve à l’entrainement lui firent changer d’avis. Il aida Kathrine Switzer à s’inscrire pour la course, cette dernière renseignant uniquement ses initiales afin de ne pas dévoiler son sexe.
Dossard n°261 plaqué sur son survêtement, Kathrine Switzer se présenta le 20 avril 1967 sur la ligne de départ du marathon de Boston, aux côtés de son entraineur et son petit copain de l’époque. Maquillée, laissant ses cheveux détachés, elle affichait pleinement sa féminité et souhaitait elle aussi abattre les préjugés en prouvant que l’histoire du marathon pouvait s’écrire au féminin.
Mais l’un des organisateurs de la course ne fut pas du même avis. Furieux de voir l’un de ses dossards porté par une femme, il tenta par la force de l’extraire de son marathon, essayant notamment de lui arracher le n°261 de son survêtement. Défendue par son compagnon et son entraineur, Switzer put poursuivre son épreuve, bouclant les 42 kilomètres après 4h20 d’effort.
Le lendemain, les images de l’altercation entre Kathrine Switzer et l’organisateur de la course firent la Une des journaux et ancrèrent un peu plus le débat. Doit-on ouvrir le marathon aux femmes ? Immédiatement après les faits, la disqualification de Kathrine Switzer et sa suspension par la Fédération Américaine d’Athlétisme apportait une réponse catégorique. Mais grâce à ces militantes et leurs volonté sans faille, la situation évolua dans le bon sens. En 1972, Boston ouvrit officiellement son marathon aux athlètes féminines, douze ans avant le premier marathon olympique féminin.
Paula Radcliffe, recordwoman du monde durant 17 ans
Cette spécialiste et multiple championne du monde de cross-country se frotta pour la première fois aux mythiques 42 kilomètres en 2002 à l’âge de 29 ans. Échouant à seulement huit petites secondes du record du monde lors de son tout premier marathon couru à Londres, elle prit sa revanche quelques mois plus tard sur celui de Chicago, remportant l’épreuve avec à la clé un nouveau record du monde en 2h 17min 18s.
L’année suivante, cette légende féminine du marathon pulvérisait son propre record de près de deux minutes en signant un 2h 15min 25s à domicile, sur le tracé du marathon de Londres. Une performance qui ne sera égalée durant seize années, seulement battue depuis 2019 par la Kényane Brigid Kosgei et ses 2h 14min 4s établis à Chicago.
Paul Tergat, le premier athlète en moins de 2h05
36 ans après que l’Australien Derek Clayton devint le premier marathonien de l’histoire sous les 2h10, Paul Tergat brisait une nouvelle barrière à Berlin en 2003, devenant le premier homme sous les 2h05.
Quintuple champion du monde de cross-country et double vice-champion du monde et olympique sur 10 000m, ce champion kenyan débuta sa carrière sur marathon en 2001 à l’âge de 32 ans. Terminant dans les quatre premiers sur chacune de ses cinq premières courses, il signait à 34 ans l’exploit majeur de sa carrière en décrochant en 2003 la victoire sur le marathon de Berlin. Ce jour-là, il signait également la meilleure performance de tous les temps sur marathon. Avec un chrono de 2h 4min 55s, il repoussait un peu plus les limites humaines en prouvant que la barrière des 2h05 pouvait être franchie.
Son record tiendra durant quatre années, avant que le spécialiste du 10 000 m Haile Gebrselassie ne décide de se frotter aux 42 kilomètres et devienne, dans la foulée, le premier athlète sous les 2h04.
Eliud Kipchoge, l’athlète de tous les records
Certains voient en lui le plus grand marathonien de tous les temps. Une légende, d’ores et déjà intemporelle, ayant façonné l’histoire du marathon. Et son palmarès leur donne raison. Double champion olympique de la distance, vainqueur de seize des dix-neuf marathons auxquels il prit part, ancien recordman du monde avec un temps de 2h 1min 9s établi en 2022 à Berlin et seul athlète de l’histoire à avoir, de façon non-homologuée, cassé la mythique barrière des deux heures. À bientôt 38 ans, Eliud Kipchoge reste le meilleur marathonien de tous les temps.
Sa carrière débutait au début des années 2000 par la voie du cross-country avant de rapidement se tourner vers la piste. En 2003, âgé de 18 ans seulement, il créa la surprise aux championnats du monde d’athlétisme en remportant un 5 000 m légendaire au sein duquel figurait Hicham El Guerrouj ou encore Kenenisa Bekele. Décrochant le bronze aux Jeux d’Athènes sur 5 000 m puis l’argent à Pékin en 2008, sa carrière sur route débuta en 2012 suite à sa non-qualification pour les Jeux de Londres sur piste. Un an plus tard, il disputait à Hambourg son premier marathon qu’il remporta avec un chrono de 2h 5min 30s.
Deuxième de son second marathon couru à Berlin en septembre 2013, Kipchoge débuta ensuite une incroyable série de 10 victoires consécutives sur cette épreuve. Outre son record du monde établi à Berlin en 2018 qu’il améliora quatre années plus tard, il profita de cette expérience et ces succès engrangés pour accepter le défi de briser la barrière des 2 heures sur 42,195 kilomètres.
Une performance qu’il réalisa lors de sa seconde tentative le 12 octobre 2019 à Vienne. Entouré des meilleurs coureurs de la planète en guise de lièvre, précédé d’une voiture dictant l’allure à suivre et muni de chaussures interdites par les normes de l’IAAF, son exploit ne fut pas enregistré comme le nouveau record du monde car il ne fut pas réalisé dans des conditions de course traditionnelles.
En 2021 à l’occasion des Jeux de Tokyo, Kipchoge remporta sans grande difficulté le marathon, devenant au passage le troisième athlète sacré double champion olympique de la distance après Abebe Bikila et Waldemar Cierpinski. Ayant comme point de mire les Jeux de Paris 2024, il pourrait un peu plus étoffer son palmarès et devenir, aux yeux des derniers sceptiques, le plus grand maître sur marathon en allant chercher un troisième titre olympique sur cette épreuve. Un exploit que jusque-là, aucune coureur n’a été en mesure d’accomplir.