Bobbi Gibb, la première femme à courir le marathon

Bobbi Gibb première femme à courir le marathon

L’histoire de Kathrine Switzer est sans aucun doute bien plus connue. En 1967, alors que le marathon restait encore réservé à la gent masculine, cette jeune femme de 20 ans brava les interdits en devenant la première à être officiellement inscrite à ce type d’épreuve. En rentrant uniquement les initiales de son nom sur la fiche d’inscription, elle put prendre officiellement le départ du marathon de Boston et parvint à terminer la course malgré la colère des organisateurs qui tentèrent de lui arracher son dossard et l’évincer de la course. L’un des clichés montrant Jock Semple, alors organisateur de la course, l’agripper pour la sortir du parcours fit d’ailleurs le tour de la planète. Malgré sa disqualification et sa suspension de la Fédération Américaine d’Athlétisme, son histoire fit grand bruit et participa activement à ouvrir le marathon aux femmes.  

Pourtant, un an avant elle, une certaine Bobbi Gibb devenait dans cette même ville de Boston la première femme de l’histoire à terminer un marathon. Retour sur la performance de cette pionnière du marathon féminin qui, dans l’illégalité la plus totale et sans la moindre inscription, prit part au départ de cette course et boucla les quelques 42 kilomètres qui la séparait de l’arrivée. 

Les femmes jugées inaptes à la pratique sportive

Jusqu’au début des années 70, de nombreux médecins et scientifiques affirmaient que la pratique des sports d’endurance pour une femme pouvait être très dangereuse et risquait de nuire à leur santé. La docteur allemande Gertrud Pfister estimait notamment qu’un effort physique trop intense et trop long pourrait provoquer chez les femmes « un décalage de son utérus voire même la perte de celui-ci ». Des propos à peine croyables de nos jours, mais pris très au sérieux à l’époque. Ainsi jusqu’au Jeux de Rome de 1960, la course la plus longue ouverte aux femmes était le 200m. Soit un effort de moins de 30 secondes pour les meilleures de l’époque. Les Jeux de la capitale italienne innovèrent quelque peu en proposant cette fois-ci à la gent féminine… un 800m. C’est certes quatre fois plus long, mais ça reste encore totalement absurde. 

Bobbi Gibb, pionnière dans l’âme

L’américaine Bobbi Gibb faisait partie de ces femmes désireuses de voir les choses évoluer. Mariée au coureur de demi-fond William Bingay, elle assista au marathon de Boston de 1964 quand, admirative devant une telle épreuve, lui vint l’idée de se confronter à son tour aux mythiques 42,195 kilomètres. Soutenu par son petit ami de l’époque, elle s’entraina sans relâche durant deux années lorsqu’en 1966, se sentant prête, Bobbi Gibb fit une demande d’inscription par lettre au marathon de Boston. 

Hélas, la réponse des organisateurs fut formelle et sans appel. Jugées inaptes physiquement, les femmes ne pouvaient participer à ce genre d’épreuve. Bobbi Gibb vit son inscription refusée. 

Désireuse tout de même d’y participer et prouver à elle ainsi qu’à ses proches qu’une femme était parfaitement capable de terminer un marathon, elle se présenta le Jour J aux abords de la ligne de départ et se cacha dans un buisson, attendant le lancement de la course. Le moment venu, elle s’immisça incognito en plein milieu du peloton de coureur, vêtue d’un bermuda et d’un sweat à capuche noir qu’elle avait emprunté à son frère afin de cacher au mieux sa véritable identité. 

Un soutien total autour de la coureuse malgré l’interdit

Très vite de nombreux concurrents autour d’elle se rendirent compte de la supercherie. Surpris de voir une femme courir à leurs côtés mais tout autant admiratif devant une telle performance, de nombreux coureurs lui promirent bienveillance et protection à son égard, afin qu’elle puisse aller au bout de son exploit sans se soucier d’une éventuelle éviction. Ainsi, quand Bobbi Gibb, souffrant de la chaleur, décida d’ôter son sweat à capuche, c’est tout une horde de coureurs qui l’encerclèrent pour cacher sa féminité des regards extérieurs et tout particulièrement des commissaires susceptibles de l’interpeler. 

Tout au long du parcours, le bruit qu’une femme courait le marathon ne mit guère de temps à circuler. Malgré elle, Bobbi Gibb devint l’attraction de cette édition de 1966 du marathon de Boston. Les spectateurs scrutèrent son arrivée, inspectaient les coureurs un à un, dans l’espoir de voir passer sous leurs yeux la chevelure blonde de la jeune coureuse de 23 ans. 

À chaque nouvelle rue qu’elle empruntait, elle était accueillie par les applaudissements de la foule. Les spectateurs l’encourageaient. Tous voulaient voir la jeune femme aller au bout de son effort. 

Une performance historique largement saluée par la critique

Après 3h et 21 minutes d’effort, Bobbi Gibb vint à bout de ces impitoyables 42 kilomètres. 

La ligne d’arrivée franchie sous les ovations des spectateurs, le gouverneur du Massachusets John Volpe descendit des tribunes et vint la féliciter. Elle venait de terminer l’épreuve devant une grande partie de ses homologues masculins et démontra de fort belle manière qu’une femme était tout autant capable qu’un homme de boucler une telle course.  

Son exploit ne tarda pas à faire la une des journaux. « Females may run marathon » pouvait-on notamment lire dans le Record American. Quelques jours plus tard, l’hebdomadaire Sports Illustrated intitulait l’un de ses articles « A Game Girl in a Man’s Game ». La performance de Bobbi Gibb avait marqué les esprits. Déjà quelques dirigeants des comités d’athlétisme aux États-Unis souhaitaient ouvrir le marathon aux femmes. 

Vers une lente ouverture du marathon aux femmes

Mais les avis n’étaient pas unanimes. Dans des conditions similaires, Bobbi Gibb recourut en 1967 et 1968 le marathon de Boston. Inspirée par cette performance, ce fut également au tour de Kathrine Switzer de s’y mettre en 1967, en parvenant cette fois-ci à se présenter sur la ligne de départ avec un dossard épinglé sur sa tenue, devenant ainsi la première femme officiellement inscrite à un marathon. Mais la sentence ne changea guère pour ces deux pionnières. Malgré leurs exploits et l’engouement qu’elles provoquaient tout au long du parcours, l’épreuve restait interdite aux femmes et Bobbi Gibb comme Kathrine Switzer furent à chacune de leurs tentatives disqualifiées une fois la ligne franchie. 

Ce n’est qu’en 1972 que le marathon de Boston devint officiellement ouvert aux femmes, un an après celui de New York. Puis, progressivement, ce fut autour des marathons européens d’ouvrir leur porte à la gent féminine avec une mention spéciale pour le marathon de Londres qui, lors de sa première édition en 1980, fut exclusivement réservé aux femmes. Une initiative voulue et orchestrée par Kathrine Switzer qui invita 200 femmes venues de 27 pays à courir les 42,195 kilomètres en arpentant les rues de la capitale britannique. 

L’intégration d’un marathon féminin au programme olympique fut encore plus tardive. Pourtant présent dès les premiers Jeux Olympiques et couru à chaque édition par les hommes, les femmes eurent droit à leur premier marathon olympique lors des Jeux de Los Angeles en 1984, il y a moins de 40 ans. Cette année-là, l’américaine Joan Benoit remportait l’épreuve avec un chrono de 2h24. À seulement 15 minutes du Portugais Carlos Lopes, sacré champion olympique chez les hommes lors de cette édition. Au-delà de sa performance, elle terminait enfin le long combat débuté 18 ans plus tôt par Bobbi Gibb. Fini les préjugés physiques qui considérait la femme comme inapte à la pratique du marathon, elles avaient désormais pleinement leur place sur ce type d’épreuve, que ce soit les amateurs comme les professionnelles.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *