Véritable chef d’œuvre aussi bien mécanique qu’aérodynamique, la Formule 1 ne se construit pas en un jour. Dans chaque écurie, plusieurs centaines de personnes regroupent leur savoir-faire et leurs compétences pour concevoir ce petit bijou technologique, nécessitant plus de 150 000 heures de travail pour penser, dessiner, tester, étudier, modifier, approuver puis agencer chacune des milliers de pièces qui la composent. Retour étape par étape sur ce long processus de construction d’une Formule 1, des premières réflexions menées par les ingénieurs à sa sortie de l’usine au bout de douze à seize mois.
Prendre connaissance du nouveau règlement
Qu’il soit quelque peu modifié ou totalement bouleversé, le règlement évolue chaque année en Formule 1. Il permet tantôt de s’appuyer sur le châssis de la monoplace précédente, tantôt de partir d’une feuille blanche comme ce fut le cas pour la saison 2022 et cette refonte totale de la règlementation.
Les ingénieurs étudient alors minutieusement le nouveau règlement afin de définir les aspects hautement contrôlés par la FIA et les zones offrant une création un peu plus libre. À titre d’exemple, l’empattement et les porte-à-faux avant et arrière sont soumis à certaines normes en termes de dimension tandis que des petites pièces plus techniques ne possèdent aucun critère de conception ou presque. Cette analyse complète permet en partie de définir le futur concept technique de la monoplace. En s’appuyant également sur les points forts et les défauts observés sur la F1 en service, les ingénieurs vont alors souligner les points à améliorer et tenter d’ores et déjà d’y apporter une réponse à travers leurs dessins et ébauches.
Une longue réflexion autour du futur châssis
Les premiers mois de conception, débutants généralement au mois de novembre soit plus d’un an avant la sortie de la monoplace, sont en effet exclusivement consacrés à la réalisation d’ébauches et de schémas. Dans chaque écurie, une équipe d’ingénieur est spécialement mendiée pour imaginer le futur châssis de la monoplace, la première étape de conception.
Lorsqu’ils doivent partir d’une feuille blanche suite à une modification totale du règlement, ces derniers commencent toujours par prendre en considération le placement des pièces volumineuses qui ne peuvent être déplacées. À savoir le réservoir, le bloc moteur et la transmission. Des pièces plus légères peuvent en revanche être positionnées selon les envies des ingénieurs. Ce sont ces dernières qui selon leur placement sur le châssis vont permettre d’influer sur la répartition des masses de la voiture. Une donnée très contrôlée par la FIA qui impose ses propres critères.
Ainsi, pour respecter le règlement tout en proposant une monoplace la plus performante possible, les ingénieurs peuvent par exemple jouer sur le positionnement de l’axe des roues. Avancer ou reculer l’axe antérieur ou postérieur modifiera inévitablement le comportement de la voiture, permettant de gagner en adhérence au détriment de la puissance ou inversement et ce, sans omettre l’usure des gommes qui à l’avenir pourrait en être impactée. Un travail minutieux se jouant à coup de millimètre.
Étudier et définir l’aérodynamique de la monoplace
Les ingénieurs en charge du placement des pièces sur le châssis et les aérodynamiciens spécialisés dans l’écoulement des flux autour de la monoplace travaillent en étroite collaboration. Lors de l’étape de réflexion autour du châssis, des critères aérodynamiques sont déjà pris en considération pour que le volume général et la position des pièces lourdes puissent convenir aux attentes des aérodynamiciens. À titre d’exemple, le placement et la forme du réservoir d’essence, particulièrement volumineux, impactera directement la structure globale de la monoplace et l’écoulement de l’air autour de cette dernière. Cette pièce est ainsi étudiée par une équipe mêlant ingénieurs et aérodynamiciens pour que son insertion réponde à la fois à des exigences techniques et aérodynamiques.
Une fois le dessin du châssis finalisé (généralement à la fin de l’été) et la conception des pièces volumineuses ainsi que leurs placements savamment réfléchis, vient une étude pièce par pièce de la future monoplace.
Toujours grâce à la coordination des différents pôles, chaque pièce est murement réfléchie. Pour faire simple, les ingénieurs s’occupent des composants internes permettant par exemple à une transmission de bien fonctionner, tandis que les aérodynamiciens, eux, analysent et débattent autour de la forme et la structure globale de cette transmission pour qu’elle puisse parfaitement s’insérer tout en minimisant les perturbations aérodynamiques. À cette étape de la conception, ces recherches se font encore par le biais de dessins et de schémas numériques.
Plus concrètement, le travail des aérodynamiciens va constituer à prendre les dessins des pièces et de les tester dans un premier temps en CFD (Computational Fluid Dynamics). Une soufflerie virtuelle permettant d’évaluer la dynamique des fluides et l’écoulement de l’air à partir de simples croquis de fabrication. Pour les projets les plus concluants, des pièces en taille maquette sont construites et passent une batterie de test en soufflerie.
Une étape cruciale. Pour reproduire au mieux les conditions d’une course, chaque pièce est placée dans diverses positions afin d’étudier l’écoulement des fluides et la résistance à l’air en phase d’accélération, de freinage ou encore dans des virages. Au terme de ces tests en soufflerie, les volumes de la future monoplace et de ses composants sont figés. Reste à définir le niveau de rigidité de chaque pièce à appliquer.
Le facteur rigidité des composants
Oui, au-delà de bien fendre l’air, chaque composant d’une monoplace doit être avant tout être capable de supporter les charges auxquelles il sera soumis à haute vitesse. Des critères de rigidité doivent ainsi être définis par les ingénieurs, calculés selon les normes imposées par la FIA mais aussi grâce aux mesures réalisées sur la monoplace en service. Sur ordinateur, de puissants logiciels accompagnent cette recherche du niveau de rigidité en simulant la déformation de chaque pièce selon les charges et les forces auxquelles elles sont soumises.
Une fois l’étude de l’aérodynamisme réalisée en soufflerie et les critères de rigidité de chaque pièce définis, le dessin détaillé de la pièce peut débuter, réalisé grâce à la Conception Assistée par Ordinateur (CAO). Un processus permettant de définir, étape par étape, le design de la monoplace en combinant les critères aérodynamiques et les facteurs de rigidité et de poids de chaque pièce.
Les dessins réalisés en CAO par les designers sont ensuite à nouveau soumis aux ingénieurs qui valideront ou non l’aérodynamisme et la rigidité. En cas de refus, le dessin virtuel en question pourra retourner par la case soufflerie ou en analyse de résistance avant de repasser à nouveau par les mains du designer. Un processus pouvant s’avérer être très répétitif, permettant à terme de concevoir les composants les plus aérodynamiques, légers et résistants possibles.
Notons qu’à ce stade, les orientations techniques et aérodynamiques adoptées peuvent encore être amenées à évoluer selon le comportement de la monoplace en service et les avancées menées sur cette dernière. Si un concept novateur a été trouvé en cours de saison, il est alors indispensable de l’intégrer à la monoplace future.
L’agencement et la fabrication des pièces : D’une précision extrême
Chaque pièce étant pensée et réfléchie séparément, vient le moment où il faut songer à l’assemblage général et l’agencement des composants entre eux.
Pour se faire, les ingénieurs peuvent compter sur de puissants outils informatiques, très précis, capables de mesurer au micron près la dimension d’une pièce. C’est essentiel. Aucun détail n’est à négliger pour que chaque composant d’une monoplace puisse s’imbriquer les uns aux autres sans engendrer la moindre perte de performance ou de résistance.
Toutes ces données sont alors concentrées sur un grand fichier traité par le logiciel de Fabrication Assistée par Ordinateur (FAO). Entre dimension et agencement des pièces entre elles, tout est clairement défini. Le but est alors de créer un programme informatique lu par les outils-robots, dans lequel est détaillé chaque mouvement que ces derniers auront à réaliser dans le processus de fabrication d’une pièce.
Dans le cas des composants en carbone, la difficulté à travailler un tel matériau requiert une extrême attention. Un logiciel faisant office d’intermédiaire entre le modèle 3D et l’atelier épaule les ingénieurs. Il permet de s’assurer avant même le lancement du processus de fabrication que la pièce en carbone et les pliures et angles auxquelles elle sera soumise est techniquement réalisable sans dédommagement de la matière première. Une fois ces données vérifiées, les pièces en carbone, telle la monocoque, entament leur processus de fabrication. Des moules sont d’abord créés. Ce sont eux qui accueilleront les multiples feuilles de carbone lors de la conception des pièces.
Jusque-là conservées à -18°C pour éviter qu’elles ne durcissent, ces fines feuilles de carbone sont ensuite découpées par ultrason puis collées ensemble et placées dans les moules avec une extrême précaution. Cuites dans un four chauffé à 130 °C, un vide d’air sera réalisé durant la cuisson permettant au carbone d’adhérer parfaitement aux contours des moules. Ce processus terminé, les pièces en carbone peuvent sortir des usines. La monocoque est techniquement l’une des plus impressionnantes d’entre-elles. Extrêmement résistante, elle affiche pourtant sur la balance un poids minime tournant généralement autour des 50 kilos. Comme elle garantit l’intégrité physique des pilotes, c’est également cette pièce qui reste la plus largement contrôlée par la FIA. Dans chaque écurie, la première monocoque produite sert justement de crash-test. De nombreux tests sont réalisés en usine et sur des sites de la Fédération Internationale Automobile. Au terme de ce processus, un membre délégué de la FIA approuve ou non l’homologation de la monocoque.
Assembler les pièces et construire la monoplace : Une partie de Lego
À côté des pièces en carbone particulièrement techniques à produire, le reste des composants de la monoplaces sont fabriqués par les outils-robots, de la boite de vitesse au petit écrou de serrage sans omettre le circuit électrique et la câblerie. Si certaines passent par une phase intermédiaire de peinture, les milliers de pièces sortant des usines sont ensuite confiées aux mécaniciens. Le montage de la monoplace peut débuter. À l’instar d’un coffret de Lego, ils disposent de tous les composants et d’un guide de montage produit par les designers, détaillant pour chaque partie de la monoplace les étapes à suivre.
Au bout de généralement deux semaines de travail, la monoplace est sur ses quatre roues, prête à être démarrée. Bien évidemment, il s’agit là d’une première version amenée à évoluer tout au long de la saison et ce, dès les premiers essais hivernaux. Des pièces de rechange sont d’ailleurs produites en vue de ses premiers tours de piste.
Quant aux ingénieurs, à peine le temps de voir le fruit de leur travail à l’œuvre qu’ils ont déjà le nez plongé dans le processus de conception de la prochaine monoplace.