Pourquoi beaucoup de sports sont nés en Angleterre ?

Pourquoi beaucoup de sports sont nés en Angleterre ?

Quel est le point commun entre le football, le rugby, le golf, le cricket, le hockey sur gazon, le tennis, le badminton l’aviron ou encore le tennis de table ? Comme vous avez pu vous en douter en lisant le titre, leurs diverses formes modernes sont toutes nées en Grande-Bretagne, codifiées au cours du XIXème siècle. Mais alors, pourquoi partagent-ils tous cette même origine ? Comment les Anglais ont-ils fait pour créer des disciplines devenues si populaires ? Retour sur le modèle sportif britannique et ce contexte si favorable ayant vu l’émergence et la diffusion des sports anglais au XIXème siècle.

Un contexte favorable aux exercices du corps

1. Les valeurs et préceptes du protestantisme

Si la majorité de nos sports modernes sont nés en Angleterre, c’est que ce pays jouissait au XIXème siècle d’un contexte favorable, idéal à une stimulation et un renouveau des pratiques sportives. 

Cela peut paraitre étonnant, mais la religion n’est pas étrangère à ce phénomène. Lors de la Réforme du XVIème siècle, l’Angleterre tourna le dos à l’autorité de l’Eglise catholique romaine et s’appuya dès lors sur les doctrines protestantes pour fonder leur propre confession chrétienne : l’anglicanisme. Respectant les principes théologiques édictés par Martin Luther en 1517, cet anglicanisme adhère aux vertus diffusées par le protestantisme. D’un point de vue physique, cela se traduit par une meilleure acceptation du corps humain. 

Là où le christianisme fait état d’un corps-prison auquel l’âme ne parviendrait à se détacher, le culte protestant, lui, voit le corps comme une création et un temple de Dieu. Afin de l’entretenir, le sport devient ainsi une vertu éducative s’inscrivant dans un développement global de la nature humaine. Pratiquer une activité physique était bon, tout comme la stimulation intellectuelle et l’élévation spirituelle. 

D’ailleurs des théologiens protestants, à l’image de Martin Bucer ou Ulrich Zwingli, ont depuis le XVIème siècle reconnu l’intérêt de la pratique sportive dans l’éducation de la jeunesse. Comenius, autre figure protestante et considéré comme l’un des pères de la pédagogie moderne, était parvenu à introduire l’activité physique et les pratiques gymniques au programme scolaire et éducatif protestant. 

L’exercice physique et l’entretien du corps, oui. Mais la pratique violente et contraire aux valeurs de l’Église, non. Si la doctrine protestante accordait une importance à l’activité gymnique, elle condamnait cependant le sport lorsque celui-ci devenait source de divertissement et engendrait des pratiques compétitives et brutales. Pas étonnant qu’en Grande Bretagne notamment, l’Église souhaitait interdire à cette époque des pratiques sportives très populaires tel pouvait l’être la Soule, réputée pour ses parties violentes. 

2. La révolution industrielle et l’émergence du capitalisme

Découlant directement des valeurs protestantes que l’on cultivait outre-Manche, la Révolution Industrielle du XIXème siècle plongea l’Angleterre puis l’ensemble de l’Europe dans une société non-plus agricole et artisanale, mais industrielle et commerciale. 

Cette première pierre de l’ère capitaliste fut d’abord posée en Angleterre. Non seulement parce qu’il s’agissait à cette époque de la première puissance économique mondiale, mais également de par les valeurs protestantes chères à la Grande-Bretagne, faisant du travail non plus un moyen de s’expier de ses péchés mais une raison de cultiver son amour pour Dieu.

Ainsi, l’Angleterre bascula tête la première dans la révolution industrielle. En parallèle des nombreux progrès scientifiques permettant la création des premières machines à vapeur, la société britannique rentra dans un véritable culte du rendement. Les usines vont se démultiplier. Tout sera pensé pour gagner en rapidité, en efficacité et ainsi accélérer le commerce avec les puissances internationales. 

Ces valeurs de compétitivité et de performance trouvèrent très vite leur reflet au travers de la pratique sportive. Le dynamisme et la croissance sans précédent de la société britannique poussa l’homme à vouloir battre de nouveaux records, conférant au sport une dimension bien plus professionnelle et encadrée. L’aspect loisir quelque peu délaissé, les performances établies par les sportifs vont susciter davantage d’intérêt. On chercha dès lors à tout mesurer. Qui court le plus vite, qui saute le plus loin, qui est le plus fort. Pour mener à bien ces comparaisons, les pratiques jusque-là populaires s’institutionnalisèrent et devinrent de véritables disciplines sportives. Des premières règles furent édictées. La boxe perdit notamment son étiquette de combat de rue et devint davantage encadrée. Le sport reprend ainsi les valeurs du capitalisme britannique, exacerbé par cette révolution industrielle qui ne fait qu’accroitre les inégalités sociales. Les meilleurs triomphes et connaissent la gloire, tandis que les plus faibles périssent, oubliés par la société.

Puis ce processus d’urbanisation caractéristique de la révolution industrielle permit un regroupement social au sein des villes. Une concentration de la société britannique instaurant un contexte d’échange, de rapprochement favorable à la création des futurs clubs sportifs et la démocratisation des sports collectifs.

Une dernière approche, cette fois-ci développée par le sociologue Allemand Norbert Elias, associe la naissance du sport en Grande-Bretagne à la création d’une gouvernance parlementaire dans l’Angleterre du XVIIIème siècle. Un nouveau schéma politique visant notamment à résoudre les conflits par le biais de la constitution, favorable à l’émergence de nouveaux comportements dont en découlèrent des pratiques physiques mieux encadrées. Les sports se dotèrent chacun d’une série de règle à respecter et tout débordement devenait prohibé. Le fondement même de nos disciplines modernes, à la différence des pratiques moyenâgeuses dont l’absence de codifications précises rendait les disciplines aussi abstraites que dangereuses. 

Deux modèles d’essor et de promotion du sport en Grande-Bretagne : La naissance du sport moderne

1. Les grands propriétaires fonciers britanniques et leurs passe-temps corporels

Dès lors, dans ce cadre accordant une place plus importante aux pratiques sportives, deux phénomènes distincts émergèrent en Grande-Bretagne. 

Le premier, on le retrouva dès le XVIIIème siècle au sein de la landed gentry. Une classe sociale britannique que l’on associait aux riches propriétaires terriens, possédant un patrimoine foncier si important qu’ils pouvaient louer leurs terres et vivres de ces revenus.

Occupant leurs journées grâce à divers passe-temps, cette noblesse terrienne aimait intégrer une dimension physique et sportive à leurs activités. Adeptes de cricket ou encore de golf, ce qu’ils appréciaient par-dessus tout restait la pratique du sport par procuration. Ainsi, ces riches propriétaires terriens organisaient dans leur domaine des courses de chevaux, des combats d’animaux, ou encore des rencontres de boxe opposant leurs laquais. Des pratiques prises très au sérieuses. Les membres de la gentry les plus engagés en venaient à se constituer toute une équipe de boxeurs qu’ils entrainaient, nourrissaient et logeaient, en vue d’affronter les boxeurs des propriétaires terriens voisins.

On assista dès lors à une première professionnalisation du sport. Un vaste marché se créa autour de cette pratique. Les membres de la gentry commencèrent à recruter des domestiques plus forts, mieux préparés aux combats, tandis que certains des meilleurs boxeurs s’acquittèrent de leur statut de laquais, tentant une carrière en totale indépendance à voyager de foire en foire et livrer des combats sous forme de spectacle en échange d’une rémunération.

Devenus adeptes de ces rencontres de boxe, la simple reconnaissance de leurs pairs n’était plus la seule motivation des riches propriétaires terriens. Assister à ces combats et espérer la victoire de ses domestiques était divertissant certes, mais parier l’était encore plus. Les premiers bookmakers virent ainsi le jour, augmentant considérablement l’affluence générée par ces rencontres tant les sommes d’argent en jeu pouvaient être conséquentes. 

Entre combattants possédant une valeur marchande et mise en place des paris, tout un pan de la pratique sportive se professionnalisait. Plus qu’une simple distraction, les enjeux devenaient de plus en plus importants et il était dès lors impératif de mieux encadrer les pratiques. Que ce soit pour la boxe, les sports hippiques ou même la course à pied et la natation, les premières institutions naquirent, permettant à l’ensemble de ces disciplines de gagner en codification tandis que les compétitions se multiplièrent. La National Swimming Society en est l’exemple parfait. Elle qui, fondée en 1837 à Londres, organisa annuellement un véritable championnat de natation avec pas moins de six compétitions officielles réparties tout au long de l’année. 

2. Les universités britanniques et la réadaptation des jeux populaires et traditionnels

Le second phénomène, lui, apparut au sein des écoles et universités britanniques durant la première moitié du XIXème siècle, initiant les élèves puis la société tout entière à une pratique du sport amateur. 

Dans ses établissements privés que l’on nommait public schools, la pratique d’une activité physique était déjà de mise. Elle suivait les mœurs d’une époque victorienne vantant les bienfaits des exercices gymniques dans le cadre de la préparation des futurs militaires qui, dans quelques années, allaient être au service de la couronne. Mais dans ces mêmes public schools, les élèves, internes à l’année dans la grande majorité des cas, amenèrent dans leurs valises tout un tas de jeux collectifs populaires. La soule, sport de balle caractéristique de la seconde moitié du Moyen-Âge, en était surement le plus répandu. Un jeu violent, relativement dangereux, mal encadré et ainsi réprimé par les écoles pour ces raisons. 

C’est alors qu’intervint, entre autres, Thomas Arnold. Enseignant et directeur de la Rugby School entre 1828 et 1841, il est encore de nos jours considéré comme l’un des pères du sport éducatif grâce à un encadrement de la pratique physique révolutionnaire. Ce dernier, face au fléau de la soule et des autres sports collectifs que les public schools britanniques tentèrent en vain d’interdire, opta pour une approche bien plus pédagogique en cherchant à codifier ces pratiques et les rendre moins dangereuses. 

Il apporta, durant cette première moitié du XIXème siècle, les premières règles à ces jeux de balle brutaux. La taille du terrain, la durée des rencontres et les phases de jeu furent notamment définies, tandis que les premières sanctions face aux comportements violents et dangereux étaient édictées. 

Un modèle efficace, réduisant les débordements, les problèmes de discipline et incitant dès lors les autres établissements privés britanniques à faire de même. 

Si l’on n’assiste pas de suite à une harmonisation des règles et que certaines écoles prônaient le jeu à la main tandis que d’autres l’interdisaient, on peut voir en cette première vague de codification les prémices de deux sports collectifs britanniques jouissant de nos jours d’une large popularité : le football et le rugby. Deux disciplines confondues à leurs débuts sous le même terme générique de football, avant que la Rugby School codifia en 1846 la pratique du football rugby en favorisant un jeu à la main, imité deux ans plus tard par les partisans du jeu au pied qui à leur tour édictèrent les premières règles du football association, plus simplement dénommé football de nos jours. 

L’exportation du modèle sportif britannique à l’international

1. L’Empire britannique, un relais de diffusion essentiel

Si le contexte britannique du XIXème siècle fut favorable à la création de nombreuses disciplines sportives, leur développement à l’international n’aurait pu être possible sans ce vaste empire dont la Grande-Bretagne en était à la tête. Regroupant colonies, comptoirs, dominions et autres territoires sous tutelle britannique, le Royaume le plus prospère d’Europe était ainsi présent aux quatre coins du globe. Un contexte idéal, permettant une large diffusion de leur culture sur tous les continents. 

La domination britannique et son influence divergeait selon les territoires composant son empire. Ainsi, la diffusion des pratiques sportives ne s’opéra pas de la même manière partout.

Au sein des colonies attenantes au Royaume de Grande-Bretagne, la couronne jouissait d’une autorité incontestée. Sur place, elle était représentée par des officiers et des dirigeants britanniques, sortant pour la plupart d’entre eux des public schools

De par la méthode éducative qu’ils avaient reçus dans ses établissements, ils amenèrent au sein de ces colonies bon nombre de disciplines sportives qu’ils avaient eu coutume de pratiquer durant leur cursus universitaire. Ainsi, à partir du milieu du XIXème siècle, des officiers importèrent le cricket en Inde. Une discipline pratiquée un temps entre colons britanniques, puis reprise par les peuples locaux qui rapidement fondèrent leurs propres clubs. L’initiative fut largement appréciée. Les Britanniques voyaient en le cricket et, au sens large, cette diffusion des pratiques sportives, un moyen d’éduquer les populations locales et imprégner la culture britannique sur ces territoires faciles à gouverner. 

Ce principe de diffusion étant valable pour l’Inde ainsi qu’une partie de l’Afrique, l’Empire britannique comptait également en son sein des territoires sur lesquels l’influence autoritaire était bien plus limitée. C’est tout particulièrement le cas des dominions et des anciennes colonies britanniques tel les États-Unis. Au sein de ces États indépendants jouissant d’une autonomie partielle ou totale, les représentants de la couronne britannique étaient parfois vus d’un mauvais œil. Ces derniers utilisèrent ainsi le sport comme vecteur de pacification, capable d’apaiser les relations avec les autorités locales. 

Si à l’instar du modèle colonial, ils contribuèrent à diffuser le football, le rugby, le golf ou encore le cricket sur divers territoires tel les États-Unis, le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et l’Afrique du Sud, l’arrivée de ces pratiques au sein d’une société déjà existante et bien plus développée permit la création de nouvelles pratiques directement inspirées des sports britanniques. Le football américain en est l’exemple parfait. Discipline découlant d’un changement de règlementation du football-rugby en Amérique du Nord. L’Australie connut un scénario similaire avec la naissance du football australien au milieu du XIXème siècle. L’émergence de nouvelles disciplines n’empêchant pas pour autant le maintien voire l’essor des sports britanniques traditionnels au sein de ce que l’on nomme désormais le Commonwealth. 

2. L’arrivée des sports britanniques en Europe via les flux commerciaux et migratoires

Au-delà des frontières de l’Empire britannique, le modèle sportif anglais s’exporta au fil des migrations et des échanges commerciaux. Qu’ils soient étudiants ou par pur intérêt de profit, bon nombre d’anglais s’installèrent en France, en Belgique, en Suisse, ou encore en Espagne, amenant avec eux leur culture et ces divers sports que l’Europe ne connaissait guère.

Sur le vieux continent, les premiers clubs émergèrent. Dans chacune des plus grandes villes européennes une partie de la communauté britannique, essentiellement estudiantine, se retrouvait et fondait les premiers clubs d’athlétisme, de football, de rugby ou encore d’aviron. En France, le Havre Athletic Club, le Paris Football Club, le Standard Athlétic Club ou encore le Pau Golf Club ont tous en commun cet héritage britannique. Si les premiers adhérents étaient essentiellement anglais, le football, le rugby ou encore la course à pied gagnèrent rapidement en popularité favorisant l’intégration des étudiants locaux mais aussi la création des premières rivalités. En 1892, le Club Français est notamment fondé à Paris. Ce dernier devant son nom à la nationalité de ses fondateurs, tous Français, par opposition à tous ces clubs créés par des Britanniques à la fin du XIXème siècle en région parisienne. 

Pour comprendre une telle réussite du modèle sportif britannique, il fallait donc en revenir à ce contexte favorable du XIXème siècle. Mélangeant doctrine protestante et prospérité économique avec l’avènement du capitalisme via la révolution industrielle, la Grande-Bretagne tenait là une situation idéale, favorable à l’émergence des valeurs et préceptes du sport moderne. Bien aidé par les membres de la gentry qui apportèrent une touche de professionnalisme à certaines pratiques sportives, tout comme les public schools britanniques qui créèrent et codifièrent de nouvelles disciplines, l’Angleterre du XIXème siècle vit naitre de nouveaux sports. Des pratiques qui voyagèrent et s’implantèrent non-seulement au sein du vaste Empire britannique, par le biais des colons et des représentants de la couronne, mais également en Europe, au fil des échanges commerciaux et grâce aux étudiants anglais qui ensemble fondèrent les premiers clubs de sport. 

Religion, essor économique et présence à l’international furent ainsi les trois piliers à l’origine du sport moderne. Au XIXème siècle, la Grande-Bretagne, protestante, puissante économiquement et à la tête d’un vaste Empire regroupait ces trois conditions et le modèle sportif britannique devint naturellement celui de référence en se diffusant comme une traînée de poudre. Un même modèle qui par la suite, inspira de nombreux promoteurs du sport à l’international à commencer par un certain Pierre de Coubertin, partisan de l’éducation physique au sein du système éducatif, rénovateur du mouvement olympique et fortement influencé par la culture anglo-saxonne. Mais ça… c’est une autre histoire. 

Pour en savoir plus :

TERRET Thierry, Histoire du sport, PUF, 2016. 

https://www.millenaire3.com/Interview/2004/l-evolution-du-sport-et-sa-place-dans-la-societe-actuelle

https://www.letemps.ch/societe/sport-cette-invention-british

https://www.evangile-et-liberte.net/2014/03/le-sport-et-le-protestantisme/

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