Sa population totale ne dépasse guère les 3 millions d’habitants et pourtant, l’île de la Jamaïque fait naitre au fil des décennies des sprinteurs parmi les meilleurs du monde et réussissant à tenir tête aux coureurs de 100m américains, pays comptant environ 100x plus d’habitants. De Raymond Stewart, premier athlète jamaïcain à franchir la barre des dix secondes sur 100m en 1989 avec un temps de 9,97 secondes, au record du monde d’Usain Bolt en 2009 et la recherche d’un successeur depuis, retour sur l’histoire du sprint en Jamaïque, à la recherche de la formule magique permettant à cette petite île de faire éclore d’immenses champions.
Partie 1 : Le facteur génétique
Diverses hypothèses pour expliquer cette prédisposition naturelle
C’est indéniable, qu’ils soient américains, jamaïcains, britanniques ou encore ivoiriens, les meilleurs sprinters du monde possède des prédispositions naturelles pour courir à de telles vitesses. Des caractéristiques physiques hors du commun qui, couplées à de nombreuses heures d’entrainements, font de ces athlètes les seuls capables de passer sous la barrière des dix secondes sur 100m.
De nombreuses études scientifiques furent menées pour déceler LE facteur permettant aux Jamaïcains entre autres d’être aussi performants sur un sprint. Bien qu’il ne semble pas exister un ingrédient miracle, ces recherches ont permis de faire ressortir de nombreuses caractéristiques communes aux meilleurs sprinters de la planète.
L’Afrique de l’Ouest, berceau des sprinteurs
La première d’entre elle, et sans aucun doute l’une des plus fragrantes, est l’origine géographique de ses champions du 100m. Une étude menée en 2012 démontra que sur les 80 sprinteurs ayant réussi à cette époque à passer sous la mythique barrière des 10 secondes, 78 d’entre eux possédaient une ascendance toute droite venue de l’Afrique de l’Ouest. Pour trouver une explication à cette incontestable domination ouest-africaine dans le monde du sprint, il faut notamment se pencher sur les caractéristiques musculaires propres aux populations composant cette région du globe. Ce fut démontré par de nombreux scientifiques, les peuplades originaires de l’Afrique de l’Ouest possèdent des muscles composés en grande majorité de fibres dites « blanches », idéales pour des efforts courts et intenses tel le sprint. À l’inverse, en Afrique de l’Est, les Kenyans, Éthiopiens et tant d’autres possède des muscles composés en majorité de fibres dites « rouges », bien plus légères et endurantes. Idéales pour supporter des efforts longs mais d’intensité moindre.
Devenue une colonie espagnole à la toute fin du XVème siècle puis britannique au cours du XVIIème siècle, plus d’un demi-million d’esclaves ouest-africains furent débarqués sur l’île de la Jamaïque afin d’y cultiver la canne à sucre notamment. Un passé historique ayant laissé une trace dans le présent puisque d’un point de vue démographique, les quelques 2,9 millions d’habitants composant actuellement la Jamaïque sont dans leur quasi-totalité des descendants de ces esclaves originaires de l’Afrique de l’Ouest.
Existe-t-il un gène du sprint ?
C’est en tout cas ce qu’a tenté de démontrer un groupe de chercheurs australiens. Ces derniers estimaient que le gène ACTN 3, présent sur le chromosome 11, serait le facteur de réussite des sprinteurs jamaïcains et, au sens plus large, de tous ceux possédant une ascendance venue d’Afrique de l’Ouest.
En effet, lorsque celui-ci est particulièrement développé, il confère aux porteurs de ce gène une aptitude physique pour les efforts courts et intenses tel le sprint, en favorisant la force explosive des fibres musculaires. À l’inverse, un gène ACTN 3 peu développé entraine une meilleure résistance à des efforts longs mais d’intensité moindre.
Une étude de 2003 réalisé par ces scientifiques australiens démontre que près de 95% des sprinteurs de haut niveau possède un gène ACTN 3 très développé. Un facteur génétique permettant indéniablement d’avoir des prédispositions naturelles pour les efforts explosifs.
Mais ce gène ACTN 3 fort développé, bien qu’il soit particulièrement présent en Afrique de l’Ouest, ne l’est pas d’autant plus en Jamaïque. On le retrouve même chez des coureurs issus de nations et régions géographiques n’ayant pas fait du sprint sa spécialité, tel en Europe mais également au Kenya ou en Éthiopie, deux nations reines dans le demi-fond. Un gène ACTN 3 fortement développé pour le sprint donne des prédispositions naturelles, c’est sûr. Mais il semble peu probable qu’il soit l’unique facteur permettant aux Jamaïcains de courir si vite.
La très controversé hypothèse historique
Dans cette éternelle quête d’une explication concrète, d’autres chercheurs ont avancé une raison historique. Oui, des chercheurs mais également des athlètes de haut niveau considèrent que les Jamaïcains comme de nombreuses peuplades d’Amérique centrale, en tant que descendants d’esclaves, auraient adoptés et conservés des aptitudes physiques hors normes leur ayant permis de mieux supporter il y a quelques siècles de cela les durs labeurs et le traitement qui leur était assené au sein des colonies. Dans un documentaire diffusé en Grande Bretagne, l’américain Michael Johnson, immense champion du 400m, estimait d’ailleurs, en tant que descendant d’esclaves, être doté d’un gène supérieur.
Cette théorie, avançant le fait qu’il y aurait eu une sorte de sélection naturelle il y a de cela quelques siècles au sein des colonies d’Amérique, fait évidemment grand débat pour des raisons éthiques et reste très contestée du côté des chercheurs mais aussi pour les historiens. Pas étonnant qu’elle n’ait jamais pu être démontrée.
La conclusion pouvant être faite est que le facteur génétique et morphologique reste forcément un atout dans la pratique du sprint, mais il doit être combiné à de nombreuses autres données pour le rendre véritablement efficace et avantageux. Oui, que ce soit en Jamaïque, aux États-Unis, en Amérique centrale ou en Afrique de l’Ouest, de nombreux individus possèdent des prédispositions naturelles mais personne ne naît sprinteur. Ils le deviennent. Avec la pratique d’un entrainement rigoureux permettant de révéler et sublimer leurs qualités innées. Et ça, en Jamaïque, on sait très bien le faire.
Partie 2 : Le facteur culturel
La Jamaïque, terre de sprint
Si d’un point de vue musical le reggae est incontestablement le genre le plus populaire en Jamaïque, en sport, l’athlétisme est sans aucun doute son parfait homologue. Bien que le cricket lui fasse énormément concurrence, le sprint est pratiqué dès le plus jeune âge en Jamaïque. “Dans la rue, vous trouverez facilement un môme en train de courir à côté d’une voiture autant qu’il le peut. Ici, être le plus rapide de son quartier, de son école, signifie quelque chose” annonce Anthony Davis, directeur sport à l’université de l’UTech. Plus qu’une pratique sportive, courir vite est avant tout un loisir en Jamaïque. Un jeu, simple mais très prisé, pratiqué par tous les enfants désireux de se confronter les uns aux autres et ce peu importe le terrain.
Un cursus scolaire largement orienté autour de l’athlétisme
Au sein du programme éducatif le sprint possède également une place prépondérante. La Jamaïque dispose d’ailleurs d’un système de détection des sprinters unique en son genre mis en place dès la primaire. Au-delà du fait qu’être un bon sprinter est un moyen pour intégrer le lycée, continuer ses études tout en recevant une bourse d’étude sportive pour ainsi s’élever socialement, en Jamaïque, se tient chaque année une compétition des plus suivies rassemblant plusieurs dizaines de milliers de spectateurs : Les ISSA Boys and Girls Athletic Championships.
Ayant lieu annuellement une semaine avant Pâques au stade national de Kingston, cet immense championnat d’athlétisme créé en 1910 regroupe l’ensemble des écoles de la Jamaïque. Chaque année, ce ne sont ainsi pas moins de 2 500 élèves qui s’affrontent sur les diverses disciplines que propose l’athlétisme, dans un cadre festif et devant des tribunes bien souvent pleines à craquer qui n’attendent qu’une chose : La finale du 100M. L’épreuve la plus attendue de toutes dans l’espoir de voir éclore sous leurs yeux la nouvelle pépite du sprint Jamaïcain. Usain Bolt mais aussi Asafa Powell ou encore Shelly-Ann Fraser-Pryce, tous sont passés par ces ISSA Boys and Girls Athletic Championships et tous ont fait vibrer, sur le tartan du stade de Kingston, le peuple Jamaïcain avant même d’être révélé aux yeux du monde entier.
Des sprinteurs restant de plus en plus sur leur terre natale
Quel est le point commun entre Ben Johnson, Donavan Bailey et Linford Christie ? Tous sont passés sous la barrière des 10 secondes dans les années 1990 sous les couleurs du Canada ou de la Grande-Bretagne et pourtant, tous sont nés en Jamaïque.
Sur une île aussi pauvre que la Jamaïque, courir vite est un moyen de fuir la misère. Les meilleurs sprinters des générations passées pouvaient, grâce à leurs résultats sportifs, s’envoler aux Etats-Unis, au Canada ou encore en Grande-Bretagne et intégrer des universités et campus de prestige offrant non-seulement tous les équipements nécessaires dans leur quête de l’excellence, mais également de belles bourses. Un facteur des moins négligeables pour espérer s’élever socialement. En redevance, ils acceptaient de suivre les systèmes de sélection nationaux et concourir sous le drapeau de leur pays d’adoption. Un exode massif des meilleurs sprinters jamaïcains si bien que jusqu’à l’an 2000, seul deux athlètes courant sous les couleurs de cette ile caribéennes étaient parvenus à passer sous la barrière des dix secondes. De nos jours, on en recense dix-huit de plus.
Cette explosion du sprint Jamaïcain depuis le début des années 2000, nous la devons en partie à un homme : Dennis Johnson, athlète d’origine jamaïcaine qui s’exila aux États-Unis afin de poursuivre sa carrière de sprinteur. Co-recordman du monde du 100 yard dans les années 1960, il fut à la suite de sa carrière un des grands fondateurs du programme athlétique jamaïcain, mis en place pour inciter les sprinters à rester sur leur île au lieu de s’exiler en Amérique du Nord dès que l’occasion se présentait.
Ainsi, Dennis Johnson forma de nombreux coachs, directement en Jamaïque, en leur enseignant les méthodes d’apprentissage qu’il avait appris durant sa carrière aux États-Unis, à l’université de San José au sein de laquelle il côtoya notamment le grand Bud Winter, considéré comme l’un des meilleurs entraineurs de sprint des années 1960.
À la manière des grands campus américains, il lança en 1971 une filière sport au sein de l’université des arts, des sciences et de la technologie, située à Kingston. La première pierre du futur grand programme d’athlétisme en place en Jamaïque, faisant de cette île une véritable usine à champions.
S’en suivra en 1980 la création du GC Foster College of Physical Education and Sport, le premier campus jamaïcain entièrement dédié à la performance sportive, puis de nouvelles universités ouvriront tour après tour de prestigieux clubs d’athlétisme tel le MVP Track and Field Club de l’Université de l’UTech qui abrita d’immense champions tel Asafa Powell, Nesta Carte, Shelly Ann Fraser-Pryce ou encore Elaine Thompson. Rien que ça. Le Racers Track Club, basé à l’Université des Indes Occidentales fit également naitre d’immenses champions. Actuellement présidé par l’entraineur Glenn Mills, le recordman du monde du 100m Usain Bolt fréquenta ce club d’athlétisme tout comme un certain Yohan Blake.
Ainsi, bien que les infrastructures n’étaient pas aussi développées technologiquement qu’au sein des grands campus américains, l’émergence de ces instituts du sport permit à la Jamaïque de conserver ces grands sprinteurs. Malgré les nombreux appels de pied des entraineurs américains, encore d’actualité de nos jours, les mentalités évoluèrent au sein de cette ile des Caraïbes. Les sprinteurs ne souhaitaient plus forcément s’exiler aux États-Unis. Bon nombre d’entre eux choisissent de rester en Jamaïque, là ils ont toujours grandi, au plus près de leur entourage, offrant enfin à cette île caribéenne ce juste titre de terre de sprint.
Voilà ce qu’est le sprint en Jamaïque. S’il n’existe guère une formule magique permettant à cette île de former les meilleurs sprinteurs du monde, cette symbiose entre prédispositions naturelles et culture du sprint permet à la Jamaïque de se distinguer sur 100m de ses nations rivales. Et c’est dire si la recette marche ! Depuis la création des championnats du monde d’athlétisme en 1983, l’île caribéenne a remporté pas moins de 126 médailles dont 35 en or, plaçant cette nation de 2,9 millions d’habitants à la 5ème place des pays les plus médaillés de l’histoire de ces championnats. Doit-on préciser que l’immense majorité de ces médailles ont-été obtenues des épreuves de sprint.
La pauvre marlene ottey elle n,à pas profité de ses descendans frimaire