Zurich devient la capitale du cyclisme le temps d’une semaine. Du 21 au 29 septembre, la ville la plus peuplée de Suisse accueille les championnats du monde de cyclisme sur route. Un événement qu’elle n’avait plus organisé depuis 1946. Cette année-là, un dénommé Hans Knecht s’imposait sur ses terres et devenait le premier Suisse couronné champion du monde sur route.
Une victoire qu’aucun n’avait anticipée. Le Schweizer Illustrierte, hebdomadaire suisse publié en langue allemande, était le premier à se demander « qui aurait pu prédire la victoire du sympathique Hans Knecht ». Idem du côté du Neue Zürcher Zeitung, qui louait la performance d’un cycliste qui a « dépassé les attentes de la communauté suisse ».
Hans Knecht, outsider mais pas méconnu
Pourtant, Hans Knecht n’était pas inconnu au bataillon. Natif d’Albisirieden, en périphérie de Zurich, ce teinturier de profession comptait déjà à son palmarès un titre de champion du monde. En 1938, sur le difficile circuit de Valkenburg aux Pays-Bas, le coureur Suisse s’était imposé chez les amateurs, devant son compatriote Josef Wagner. La dernière édition avant l’interruption forcée par la Seconde Guerre mondiale. L’Europe se déchirait, le monde du cyclisme entrait en hibernation et seules les courses disputées en Suisse perduraient. De 1939 à 1945, Hans Knecht remportait À travers Lausanne à deux reprises, grimpait sur le podium du Grand Prix de Zurich, du championnat de Suisse de cyclo-cross et décrochait un titre de champion national sur route en 1943.
Les premiers championnats du monde de l’après-guerre
L’armistice signé le 8 mai 1945 mettait fin aux conflits en Europe. La vie reprenait un semblant de normalité, le sport retrouvait pas à pas ses droits. Après avoir accueilli les éditions de 1923 et 1929, Zurich était sélectionné pour organiser les premiers championnats du monde de cyclisme sur route de l’après-guerre. Le parcours était une boucle de 13,5 kilomètres entre Zurich et Dübendorf, à effectuer à vingt reprises. Une course de 270 km avec, à chaque tour, une côte pavée à gravir, dont son sommet est situé à quelques kilomètres de la ligne d’arrivée.
Sous une pluie battante, trente-deux coureurs se présentaient sur la ligne de départ. L’Italie avait sorti l’artillerie lourde et pouvait compter sur l’immense talent des deux éternels rivaux qu’étaient Gino Bartali et Fausto Coppi. La Belgique était également un prétendant sérieux au titre. Elle comptait dans ses rangs la jeune pépite Rik Van Steenbergen et l’expérimenté Marcel Kint. Le champion du monde sur route sortant qui, depuis huit ans attendait son successeur.
Marcel Kint s’envole mais la Belgique se saborde
Cet « Aigle Noir », tel il était surnommé aurait pu se succéder à lui-même. Marcel Kint figurait dans l’échappée du jour, en compagnie de son coéquipier Rik Van Steenbergen. Le groupe comptait dix coureurs, dont l’Italien Mario Ricci et les trois Luxembourgeois Jean Kirchen, Joseph Bintener et Mathias Clemens. Rapidement, Hans Knecht et le Français Guy Lapébie s’extirpaient du peloton et rejoignaient les dix fuyards.
Marcel Kint semblait être le plus fort de tous. Le natif des Flandres occidentales, triple vainqueur d’étape sur le Tour, plaçait une attaque à deux tours de l’arrivée. Aucun ne fut en mesure de le suivre, l’Aigle Noir s’envolait vers un second titre. Comme Georges Ronsse l’avait fait dix-sept ans plus tôt, dans cette même ville de Zurich, Marcel Kint était en passe de conserver le liseré arc-en-ciel promis au champion du monde. Rien ne semblait l’en empêcher, si ce n’est la fougue de son jeune équipier Rik Van Steenbergen.
Confiant de sa force au sprint du haut de ses vingt-deux ans, Rik Van Steenbergen attaquait à son tour. À bas les consignes d’équipe, il revenait sur Marcel Kint en emmenant dans sa roue Hans Knecht. Rusé, le coureur helvète se retrouvait en tête de course sans avoir fourni le moindre effort, cerclé par deux coureurs belges qui peinaient à s’entendre.
Hans Knecht, vainqueur sur un coup de pouce du destin
Sur des routes qu’il connaissait par cœur et devant des spectateurs acquis à sa cause, dont la météo capricieuse ne les avait pas démotivés de s’amasser le long des barrières, Hans Knecht se dressa sur ses pédales et attaquait dans l’ultime ascension de la côte pavée. Émoussé par ses efforts, Rik Van Steenbergen craquait le premier. Marcel Kint limitait l’écart et parvenait à combler son retard dans la descente. Le champion du monde professionnel et le lauréat sortant chez les amateurs se retrouvaient seuls en tête de course, à l’amorce du sprint final. L’un était plus expérimenté, l’autre pouvait compter sur une plus grande fraîcheur grâce à un scénario de course bienheureux. Finalement, un élément externe allait décider du vainqueur.
Au moment de lancer son sprint, Marcel Kint était retenu au niveau de la selle par deux spectateurs qui surgissaient de la foule. D’après le récit du coureur belge, Hans Knecht aurait quant à lui été poussé par un troisième spectateur. Le coureur suisse creusait l’écart en toute logique et franchit la ligne d’arrivée le premier. La réclamation déposée par Marcel Kint était légitime mais veine. Hans Knecht n’avait commis aucune infraction, les commissaires ne pouvaient le déposséder de son titre. À 33 ans, le natif de Zurich offrait, sur ses routes et devant son public, le premier titre de champion du monde de cyclisme à la nation helvète. Les prémices des plus belles années du cyclisme suisse.
En Suisse, l’avènement d’une génération talentueuse
Si Hans Knecht prit sa retraite sportive en 1949, sa relève ne tarda guère à émerger. Emmenée par les deux éternels rivaux qu’étaient Ferdi Kübler et Hugo Koblet, une génération dorée écrivait les plus belles pages du cyclisme suisse en ce début des années 1950.
Le premier des deux devint, en 1950, le premier Suisse à remporter le Tour de France. Surnommé « le fou pédalant », acharné, ne ménageant pas ses efforts et apprécié pour sa dévotion à l’entraînement, Ferdi Kübler offrait à la Suisse un second titre de champion du monde en 1951 et deux victoires sur Liège-Bastogne-Liège.
Le second accordait une grande importance à son apparence physique. Le peigne toujours dans sa poche pour coiffer ses cheveux en arrière et les yeux bleus perçants, Hugo Koblet était surnommé le « pédaleur de charme ». Un cycliste d’une élégance rare sur son vélo, qui devenait le premier non-italien à remporter le Giro en 1950. Un an plus tard, Hugo Koblet suivait les traces de Ferdi Kübler et inscrivait, à son tour, son nom au palmarès de la grande boucle.
Deux cyclistes suisses vainqueurs du Tour de France coup sur coup, la nation helvète attend encore leur digne successeur.