Six agrès pour les hommes, quatre pour les femmes, et seulement deux en commun : le sol et la table de saut. La gymnastique artistique a fait le choix depuis de nombreuses décennies de faire concourir hommes et femmes sur des agrès différents. La raison ? Aucune explication claire et définie ne semble exister, bien que quelques hypothèses se dessinent.
Les débuts de la gymnastique artistique, une discipline exclusivement masculine
Discipline sportive possédant des origines antiques, la gymnastique artistique fut remise au gout du jour sous l’impulsion des hommes de la Renaissance, tandis que sa pratique moderne commença à être codifié au cours du XVIIIème siècle, lorsqu’Allemands, Danois et Suédois développèrent les premiers agrès.
À cette époque, cette discipline était, comme l’immense majorité des pratiques sportives, exclusivement réservée aux hommes. Présent au programme Olympique dès la première édition des Jeux modernes en 1896, cinq des six agrès caractéristiques du programme masculin actuel figuraient lors de ces Jeux Olympiques inauguraux à Athènes. Seul le sol était absent, ce dernier étant introduit à l’occasion des Jeux de Los Angeles de 1932. Notons toutefois durant ces premières olympiades la présence d’agrès aujourd’hui disparus tel le grimper de corde.
L’ouverture aux femmes
En France, une lente ouverture de la gymnastique aux femmes s’effectue à partir des années 1910 avec la création des premiers clubs de gym féminins. Puis, en 1928, c’est autour des Jeux Olympiques d’ouvrir leur programme gymnique à une pratique féminine. Alors que quatre ans plus tôt seules 13 femmes pour 245 hommes étaient engagés aux Jeux Olympique de Paris, cette IXème Olympiade se déroulant à Amsterdam marque un plus large élargissement du programme olympique à la gent féminine. La gymnastique restait toutefois une discipline majoritairement masculine. Alors que les hommes bénéficiaient de pas moins de sept concours, individuels comme collectifs, côté féminin, seul un concours général par équipe fut mis en place, remporté cette année-là par les gymnastes néerlandaises. Oui, on était encore loin d’une pratique complète de la gymnastique artistique féminine. La faute peut-être à des agrès pas encore tout à fait adaptés aux femmes.
Pourquoi les femmes concourent sur des agrès différents ? Entre moeurs et préjugés d’antan
Bien qu’aucune source officielle n’explique pourquoi hommes et femmes concourent sur des agrès différents, il semble possible que cette différenciation visible au sein du programme gymnique soit une résultante des mœurs de l’époque et tout particulièrement de la place de la femme dans le sport, très limitée lors de l’ouverture de la gymnastique à la gent féminine. Un facteur couplé au fait que physiquement parlant, les gymnastes féminines de l’époque ne pouvait développer autant de force que leurs homologues masculins.
Ça n’est plus un secret de nos jours, au début du XXème siècle pratiquer une activité physique lorsqu’on est une femme était bien souvent vu d’un mauvais œil. Le père des Olympiades modernes Pierre de Coubertin jugeait même « impratique, inintéressante, inesthétique et incorrecte » la présence des femmes aux Jeux Olympiques. Jusque dans les années 1960, de nombreux médecins et scientifiques estimaient que la pratique d’une activité sportive était dangereuse pour les femmes et pouvait entrainer une perte de leur féminité.
Ainsi, lors des premiers concours de gymnastique féminin, du fait du peu d’intérêt que suscitait à cette époque le sport féminin et suite aux préjugés jugeant les femmes inaptes à la pratique sportive et bien moins fortes physiquement, une remise en question des agrès allant être utilisés par les femmes s’imposait.
Ils ne pouvaient pas être semblables aux agrès masculins. D’un point de vue morphologique déjà. Les femmes, pouvant relativement peu s’entrainer à cette époque, développaient bien moins de force physique que les gymnastes masculins. Un désavantage sur les anneaux, la barre fixe, les barres parallèles ou encore le cheval d’arçon, requérant beaucoup de force pour supporter les nombreux temps d’appui. Naturellement, ils furent exclus du programme féminin.
En contrepartie, deux nouveaux agrès allaient faire leur apparition. La poutre d’un côté, nécessitant davantage d’équilibre et de précision que de force pour parvenir à enchainer diverses figures sur une bande de 10cm de large seulement. Mais également les barres asymétriques, directement dérivées des barres parallèles et possédant quant à elles l’avantage de générer d’importants temps de suspension au dépend des périodes d’appuis très exigeantes en termes de force physique pure. Elles feront leur apparition dans les concours féminins dès 1938.
Ainsi, c’est ce différentiel de force physique que l’on constate entre un gymnaste et son homologue féminine, qui poussèrent certainement les instances à créer des agrès exclusivement féminins remplaçant les anneaux, barres parallèles, barres fixes et le cheval d’arçon requérant davantage de puissance musculaire.
Bien qu’il n’existe aucune explication officielle, c’est certainement sur ce fond de préjugé et de machisme faisant des femmes des êtres inaptes à la pratique sportive que la gymnastique féminine prit une tournure bien plus artistique que physique (bien que la difficulté physique ne soit en aucun cas à négliger). À travers les différents programmes proposés, la technique et la réalisation du geste parfait rentrait davantage en compte que la force. Pas étonnant qu’à la fin des années 1950 il fut décidé qu’au sol, l’un des deux agrès en commun, les femmes devaient dès lors évoluer sur un fond musical, rendant la performance davantage esthétique en incorporant certains mouvements directement inspirés du monde de la danse. De nos jours encore, cette tradition se perpétue et reste propre aux concours gymniques féminins.