L’histoire du Groupe B en rallye

L'histoire du groupe B en rallye

Il fut un temps où le championnat du monde des rallyes ne possédait aucune règle ou presque. Une courte période de quatre ans, au beau milieu des années 1980, durant laquelle s’affrontait sur terre, sur asphalte comme sur neige les meilleurs pilotes du monde au volant de voitures surpuissantes, développant parfois plus de 600 chevaux pour moins d’une tonne, et très peu au point en matière de sécurité.

Cette catégorie à part, on la nommait le groupe B. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle a marqué toute une génération, devenue de nos jours presque nostalgique de ces quatre années de folie durant lesquelles Audi, Lancia mais aussi Peugeot se livraient une bataille sans précédent, avec des voitures déraisonnables et devant un public totalement conquis, frôlant à de nombreuses reprises l’inconscience. Retour sur ce chapitre extraordinaire de l’histoire du rallye, de la création du groupe B à sa triste fin. 

La création du groupe B : Objectif, relancer le spectacle

Jusqu’à la fin des années 1970, le règlement du championnat du monde des rallyes était une interminable suite d’articles et d’annexes que personne n’arrivait à comprendre. Selon les caractéristiques des voitures engagées, (voitures de production, de compétition, de course…) ces dernières étaient inscrites dans diverses catégories formant des groupes numérotés de 1 à 9.

Les principaux constructeurs engagés en rallye figuraient alors dans le groupe 4, considéré comme la catégorie reine de la discipline et regroupant les voitures de série produites à au moins 500 exemplaires sur douze mois consécutifs. Pour y être éligible, certains constructeurs n’hésitèrent pas à faire preuve de beaucoup de malice en prenant le règlement à l’envers. Ainsi Lancia, n’utilisa non pas une voiture de série qu’ils modifièrent pour le rallye, mais développèrent la Stratos, une voiture de rallye qu’ils déclinèrent pour la route, produite à 500 exemplaires comme le voulait le règlement. Inévitablement, elle fut un échec commercial. Mais inévitablement, sa conception spécialement faite pour le rallye leur permit de dominer la discipline entre 1974 et 1976. 

La Lancia Stratos fut ainsi considérée comme l’une des premières véritables voitures de rallye de l’histoire. Et sa domination était telle que la Fédération Internationale de Sport Automobile (FISA) voulu attirer de nouveaux constructeurs en rallye et ainsi relancer la concurrence et le spectacle sur les routes. Pour se faire, une refonte totale du système de règlementation s’imposait. Celui-ci devait être simplifié et offrir davantage de libertés. Deux caractéristiques essentielles pour permettre aux constructeurs de développer rapidement et à moindre coût des voitures de rallye, sans avoir besoin de posséder un modèle de série déjà existant et performant. 

En 1978, le FISA dévoilait officiellement leurs nouvelles intentions et annonçant le remplacement des groupes numérotés de 1 à 9 par des catégories symbolisées par des lettres. Parmi eux, le groupe B était celui présentant le règlement le plus souple. Devant suppléer le groupe 4, ancienne catégorie reine, la contrainte des 500 voitures de série produites en 12 mois fut abaissée à 200. Quant au système de transmission utilisé et à la limite de puissance imposée, très peu de règles étaient en vigueur. Un simple poids minimal était simplement à respecter, calculé en fonction de la cylindrée du moteur.

Les constructeurs engagés en rallye avaient dès lors cinq ans pour développer un modèle adhérent aux principes du groupe B. Face à la réticence de certains, ne voulant guère dépenser des sommes considérables dans la conception de nouvelles voitures, la FISA dévoila sur le tard une dernière clause, garantissant que les règles allaient rester inchangées durant au moins cinq années. Rassurés concernant la rentabilité d’un tel investissement, les constructeurs se lancèrent dans la conception de leurs nouvelles voitures de rallye. Le groupe B allait pouvoir naitre. 

Les premières années du groupe B : Audi révolutionnaire

La première saison fut dite de transition. Certains constructeurs n’ayant pas encore terminé de développer leurs nouveaux modèles, les voitures suivant la règlementation du groupe 4 étaient encore admises. En réalité, seul Audi et Lancia étaient cette année-là officiellement inscrites dans le groupe B. La marque allemande détonna d’ailleurs avec son système quattro à quatre roues motrices. Une petite révolution dans le monde du rallye tant la propulsion arrière restait jusque-là le système de référence. Avec quatre roues motrices, Audi faisait le choix de la maniabilité sur les revêtements glissants. Leur Quattro A1 engagée était certes devenue plus lourde, plus lente sur les parties asphaltées, mais possédait une excellente tenue de route lorsque le goudron laissait place à des chemins de terre, de neige ou de gravier. 

Les vives critiques faites à l’égard du système quatre roues motrices, dont on lui reprochait notamment son poids, furent ainsi vites balayées. Voyant l’efficacité de l’Audi Quattro sur terre comme sur neige, de nombreux constructeurs emboitèrent le pas, bien que les propulsions arrière restèrent durant les premières années redoutables. La preuve en est, cette saison 1982 fut marqué par une sévère lutte entre Audi et son modèle Quattro face à Opel, représentée par l’Ascona B 400 et encore sous la règlementation du groupe 4. Si Audi remporta finalement le championnat des constructeurs pour quelques points seulement, le champion du monde des rallyes fut cette année-là l’Allemand Walter Röhrl, pilote de l’écurie Opel.

L’année 1983 marqua les véritables débuts du groupe B. En plus de l’Audi Quattro et de la Lancia 037, de nouveaux constructeurs, attirés par la faible règlementation de cette catégorie, rejoignirent le championnat du monde des rallyes. Opel délaissa peu à peu leur Ascona 400 au profit de la Manta B 400, Toyota engagea sa Celica TCT, tandis que des constructeurs déjà présents dans le groupe 4 étaient présents de manière plus épisodique tel Renault et se R5 Turbo ou encore Nissan. 

Mais malgré l’intérêt croissant des constructeurs, le titre allait se jouer cette année-là entre Audi et Lancia. D’un côté le modèle Quattro, équipé de quatre roues motrices et développant près de 360 chevaux pour un peu plus d’une tonne. De l’autre, la Lancia Rally 037, plus légère, un peu moins puissante et équipé de deux roues motrices. Au coude à coude durant toute la saison, glanant à eux deux un total de trente places sur le podium sur trente-six possible, Lancia sorti finalement vainqueur de ce duel acharné, sacré champion du monde des constructeurs pour deux petits points seulement. Audi put tout de même se consoler avec le titre de champion du monde de leur pilote Hannu Mikkola mais à cette époque, une telle récompense importait peu face au privilège de remporter le classement des constructeurs. 

Revanchards, la marque aux quatre anneaux se présenta en 1984 avec une version améliorée de leur précédent modèle : l’Audi Sport Quattro. Plus légère et désormais équipée d’un moteur Turbo développant 450 chevaux, Lancia se trouva vite dans l’incapacité d’imiter les chronos réalisés par leurs adversaires Allemands. Ces derniers firent coup double en décrochant le titre du classement des constructeurs et des pilotes, seulement inquiétés en fin de saison par la montée en puissance de Peugeot et sa 205 Turbo 16 pilotée par Ari Vatanen. Remportant trois des quatre derniers rallyes, la marque au lion se positionnait d’ores et déjà en légitime favoris d’une saison 1985 en tout point exceptionnelle, considérée comme beaucoup comme la plus grande année de l’histoire du rallye tant les prétendants au titre étaient nombreux. 

Une saison 1985 entrée à jamais dans l’histoire

Après trois années en demi-teinte, marquées par la révolution du système quatre roues motrices d’Audi et leur duel face à Opel puis Lancia, le groupe B allait enfin connaitre en cette saison 1985 une lutte digne du potentiel de cette catégorie.

Audi, Peugeot, Lancia, Renault, Ford, MG, Mazda, Nissan ou encore Porsche étaient cette année-là présents en groupe B. Pour espérer l’emporter, les constructeurs s’affranchirent de toutes les limites. Les moteurs avoisinaient les 600 chevaux, le 0 à 100 km/h était abattu en un peu plus de deux secondes tandis que la transmission en quatre roues motrices était devenue la norme, hormis chez Lancia qui fit à tort confiance à son système propulsion avant l’arrivée de la S4 en fin de saison. 

Des voitures toutes plus puissantes les unes que les autres, mais également des plus dangereuses. La règlementation laxiste du groupe B imposait bel et bien l’utilisation d’arceaux de sécurité, mais ne spécifiait guère leurs matériaux de conception ni même la résistance de ces derniers. Ainsi, certains constructeurs, afin de gagner en légèreté, équipèrent leurs voitures d’arceaux en aluminium creux ou même… en carton. À la moindre sortie de piste l’intégrité des pilotes était dangereusement menacée mais le prestige de décrocher un titre des constructeurs semblait au-dessus de tout. 

Sur les routes, le spectacle était total. La lutte entre les pilotes était acharnée provoquant un véritable engouement autour du rallye. Le public s’amassait en nombre sur le bord des routes. Ils étaient à chaque manche plusieurs dizaines de milliers à se tenir debout le long du tracé, sans aucun dispositif de sécurité, à attendre le passage des meilleurs pilotes de la planète qui, lancés à des vitesses vertigineuses sur des terrains relativement peu adhérents, passaient à quelques centimètres seulement de la foule. Les spectateurs les moins avisées se lançaient même des défis entre eux. L’un des plus récurrents consistait à s’approcher le plus possible de la voiture lors de son passage et espérer ainsi la toucher lorsqu’elle déboulait sous leurs yeux. Y parvenir semblait procurer un grand sentiment de fierté. Mais à quel prix. Ce jeu des plus dangereux provoqua en effet de nombreux drames et certains des spectateurs les moins prudents se retrouvèrent avec des doigts, des mains ou même des pieds arrachés.

Ses accidents qui au fil des manches se répétèrent n’empêcha guère la bonne tenue de cette saison 1985. Au terme de cette dernière, Peugeot fut sacré champion du monde des constructeurs grâce à une grande régularité, remportant pas moins de sept des douze rallyes au programmes. Leur poulain Timo Salonen remportait le classement des pilotes tandis que Vatanen, victime d’un gros accident au Rallye d’Argentine, fut éloigné de la compétition durant la deuxième partie de saison et ne put pleinement défendre ses chances. Derrière, Audi assurait sa seconde place tandis que Lancia, catastrophique en début de saison, prouvait en fin d’année qu’il faudrait compter sur eux à l’avenir. Leur Delta S4 et son système quatre roues motrices tant attendu les avaient remis dans le droit chemin. La saison 1985 touchait à peine à sa fin et déjà, spectateurs comme téléspectateurs avaient le sentiment que l’année 1986 allait tenir toute ses promesses avec le retour au premier plan de Lancia. 

1986, la descente aux enfers du groupe B

À l’entame de cette saison lors du Rallye Monte-Carlo, la ferveur pour le groupe B était toujours aussi intense si ce n’est plus. Les voitures engagées étaient toujours plus puissantes et légères et, dès la première manche de la saison, Lancia confirma sa bonne dynamique en s’imposant sur les routes alpines devant Peugeot et Audi. Une lutte entre ces trois constructeurs était attendue. Tous espéreraient qu’elle s’éterniserait jusqu’en fin de saison. Elle s’arrêta finalement dès la troisième manche, lors du Rallye du Portugal et le premier drame de cette année 1986.  

Une tragédie qui aurait pu survenir bien plus tôt tant le championnat du monde des rallyes sous l’ère du groupe B laissait à désirer en matière de sécurité. Au Portugal, au cours de la première spéciale au programme, le Portugais Joaquim Santos, au volant de sa Ford RS200, perdit le contrôle de sa voiture, manqua un virage et tira tout droit dans le public. Bilan de cet incident : Trois morts et une trentaine de blessés. Les pilotes présents sur place manifestèrent dès lors leur colère, annonçant faire grève pour protester contre le manque de sécurité et les conditions dans lesquelles les spéciales étaient courues, avec un public toujours plus proche du tracé et des voitures. Audi annonça se retirer immédiatement de la compétition, laissant Lancia et Peugeot se disputer entre eux le titre de champion du monde.

Mais à peine un mois plus tard, la compétition entre ces deux constructeurs repassa une nouvelle fois au second plan lorsque durant le Tour de Corse, Henri Toivonen et sa Lancia Delta S4 tirèrent tout droit dans une courbe habituellement franchie à plus de 200km/h. Plongeant dans un ravin et effectuant une chute de plusieurs dizaines de mètres, sa voiture, trop peu équipée pour supporter un tel impact, s’écrasa sur les arbres et les rochers et s’enflamma instantanément une fois le réservoir perforé, ne laissant aucune chance à Toivenen et son copilote de s’en sortir vivant. 

L’accident de trop. Le monde du rallye était endeuillé et il fallut attendre qu’un tel drame se produise pour que des mesures soient prises. Constatant la dangerosité des voitures engagées et suite aux incidents à répétition, la Fédération Internationale de Sport Automobile annonça que cette saison 1986 serait la dernière pour le groupe B. Ils mirent également un terme au projet ambitieux qu’était le groupe S. Une nouvelle catégorie devant supplanter le groupe B dès 1988, autorisant les constructeurs à s’affranchir de leurs modèles de série en concevant des voitures au design unique, destiné uniquement au rallye. Malgré une limite de 300 chevaux que la FISA souhaiter imposer au groupe S afin de rendre les épreuves plus sécuritaires, cette catégorie ne vit jamais le jour. Le groupe A, bien moins spectaculaire et jouissant d’une côte de popularité relativement faible, devint ainsi dès 1987 la catégorie phare du championnat du monde des rallyes. 

La saison 1986 poursuivi malgré tout son cours et se conclut au terme d’une énième polémique, lorsque l’écurie Peugeot fut disqualifiée du rallye de San Remo pour des jupes jugées non-conformes. Permettant à Markku Alén de prendre le large en tête du classement des pilotes, Lancia pensait au terme de cette année 1986 avoir un pilote champion du monde des rallyes avant que les commissaires ne revinrent sur leur décision dix jours après la dernière manche de la saison. Les jupes utilisées par les Peugeot à San Remo étaient conformes et la marque au lion n’aurait pas dû être disqualifié. Par soucis d’équité, les résultats obtenus en Italie furent annulés, permettant à Peugeot de réaliser le doublé championnat du monde des constructeurs et des pilotes pour la deuxième année consécutive. 

Ainsi se termina l’ère du groupe B, dans un imbroglio total et au terme d’une saison noire marquée par deux tragiques incidents. L’année suivante, le groupe A devint la catégorie reine du championnat du monde des rallyes, clôturant définitivement cette courte parenthèse de folie, entre spectacle et drame. 

Mais pour les constructeurs, la fin du groupe B ne rima guère pas avec la fin de leurs ambitions. Tenant entre leurs mains des voitures très performantes qu’ils étaient capables d’améliorer davantage, ils les engagèrent dans des courses au règlement souple autorisant ces monstres de puissance. 

Ainsi, on enregistra au Pikes Peak, célèbre course en côte se déroulant chaque année aux Etats-Unis, les arrivées de Peugeot et Audi à la fin des années 1980. Tous deux munis de leurs célèbres 205 Turbo et S1 Quattro, gonflées avec un moteur atteignant cette fois-ci les mille chevaux. 

La fin du groupe B fut également l’occasion pour la marque au lion de découvrir les conditions extrêmes du Sahara en engageant leur Peugeot 205 Turbo Evolution sur le Paris-Dakar. Un modèle légèrement modifié pour supporter les longues étapes en plein milieu du désert, réussissant parfaitement ses débuts en s’imposant sur le Paris-Dakar dès sa première apparition en 1987, avec au volant l’ancienne gloire du rallye Ari Vatanen.  

Pour en savoir plus :

https://www.ouest-france.fr/sport/auto/rallyes-wrc/rallyes-wrc-1985-1986-quand-le-groupe-b-etait-la-star-du-sport-automobile-6801177

https://fr.motorsport.com/wrc/news/champions-rallye-annees-1980-groupe-b/4796889/

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