Dans le monde du sport, c’est sans aucun doute le plus grand débat de ces dernières années. Celui qui divise tant avec d’une part les partisans du e-sport comme sport, soulignant les nombreuses heures d’entrainement que cette pratique nécessite et l’engouement autour des plus grandes compétitions, et d’une autre leurs opposant estimant que sport rime impérativement avec dépense physique. Alors, qui a raison ? Il est temps d’apporter notre point de vue.
Une définition du sport en adéquation avec l’e-sport ?
Pour commencer, essayons d’abord de définir ce qu’est le sport. À travers son dictionnaire, le Larousse apporte une première définition : « Ensemble des activités physiques se présentant sous forme de jeux individuels ou collectifs, donnant généralement lieu à compétition, pratiqués en observant certaines règles précises ».
La description faite par le Robert est relativement similaire : « Activité physique exercée dans le sens du jeu et de l’effort, et dont la pratique suppose un entraînement méthodique et le respect des règles ». Tout comme celle donnée par le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL), stipulant que le sport est une « Activité physique, le plus souvent en plein air et nécessitant généralement un entrainement, qui s’exerce sous forme de jeu ou de compétition, suivant des règles déterminées. ».
De ces trois définitions se dégagent quatre points primordiaux permettant de définir ce qu’est le sport. Premièrement, il doit s’agir d’une activité physique. Deuxièmement, cette dernière est réalisée sous une forme de jeu ou de loisir. Troisièmement, le sport inclut une part de compétition et quatrièmement, pour que les diverses pratiques soient encadrées et comprises par tous, chaque sport suit une série de règles écrites et déterminées. Mais ces points collent-ils avec le e-sport ?
Pour les trois dernières caractéristiques, il n’y a pas vraiment de débat. Chaque jeu vidéo possède ses propres règles auxquelles les joueurs doivent se plier sous peine d’être accusés de triche, la sphère du e-sport a fait naître de très nombreuses compétitions suivies aux quatre coins du globe par des millions de fans, tandis que comme son nom l’indique, le jeu vidéo inclut une notion de jeu et de divertissement, au même titre que les disciplines sportives.
Maintenant vient le point de l’activité physique. En constatant qu’il est cité en premier dans chacune des trois définitions, on en déduit sans mal qu’il s’agit surement du facteur le plus essentiel, celui permettant de déterminer si une activité donnée peut être considérée comme un sport ou non.
Et au risque de décevoir les plus fervents opposants au e-sport, oui, jouer aux jeux vidéo revêt une part d’activité physique. Les meilleurs joueurs de la planète ne brulent pas autant de calories qu’un marathonien certes, mais ils doivent faire preuve d’importants réflexes psychomoteurs, leur permettant de répondre le plus vite possible à chaque situation en appuyant sur les touches de leur manette. Un peu à l’image d’un pilote automobile devant anticiper chaque virage et les divers dangers en piste. Bien qu’il ne fasse pas appel à la force musculaire pure, le critère physique est donc essentiel dans le monde du e-sport comme il l’est dans toute activité sportive. Pour les plus sceptiques, on reviendra sur ce sujet en fin d’article.
De nombreuses valeurs communes entre sport et e-sport
Entrainement, persévérance, compétition, esprit d’équipe, respect des règles, détection, encadrement, infrastructures, staff technique et j’en passe. Ces mots du lexique sportif sont également présents dans la sphère du e-sport.
Tout comme n’importe quel athlète professionnel, le quotidien d’un joueur de e-sport (de haut niveau) est dicté par sa pratique. Il consacre une grande partie de sa journée à s’entrainer, perfectionner certains gestes, apprendre de nouvelles techniques ou encore développer certaines stratégies, seul ou en équipe selon le jeu vidéo. À l’instar des clubs, les joueurs de e-sport sont réunis dans diverses infrastructures possédant un écusson, leurs propres couleurs et un maillot.
En France, la Team Vitality est sans doute la plus connue de toutes. Comme un club de football, cette dernière possède un centre d’entrainement (le Stade de France), recrute des joueurs professionnels, signe des contrats de sponsoring avec diverses marques et participe aux plus prestigieuses compétitions de e-sport. En son sein, les joueurs sont entourés de manager, de psychologues et de coachs mentaux. Ils leur arrivent de faire appel à des kinésithérapeutes en cas de douleur articulaires aux doigts ou au dos après être resté assis de longues heures devant leurs écrans. Plus globalement, ces structures veillent à la santé de leurs joueurs pour qu’ils soient performants derrière leurs écrans. Cela passe par un suivi nutritionnel, des recommandations quant à la qualité de leur sommeil ou la réalisation d’exercices physiques pour maintenir une certaine condition corporelle.
Les compétitions de e-sport sont également structurées de la même manière que n’importe quelle compétition sportive. Qu’il s’agisse de championnats de France, d’Europe ou du monde, des présélections sont réalisées en amont, puis à chaque tour des joueurs ou équipes sont éliminées tandis que les meilleures accèdent à l’étape suivante. À la fin, une grande finale permet d’élire le vainqueur. Dans le cas des compétitions les plus prestigieuses, ce dernier repart avec un trophée, un très joli chèque et la reconnaissance de ses pairs.
Malheureusement, le monde du e-sport possède aussi les aspects négatifs du sport. Comme dans toutes les disciplines, les joueurs de haut niveau sont soumis à la pression du résultat. Un enchainement de contre-performances peut non-seulement affecter grandement le moral, mais aussi entrainer une perte de certains sponsors, une baisse des revenus ou encore un évincement de sa structure d’accueil. Pratiqués à haute dose, les jeux vidéo peuvent aussi causer des blessures, bien souvent tendineuses, nécessitant un temps d’arrêt plus ou moins long selon la gravité. Ce que tout sportif redoute, les e-sportifs le craignent tout autant.
Enfin, si l’addiction aux jeux vidéo peut entrainer isolement social, changement d’humeur, irritabilité et troubles psychologiques, sachez que les sportifs amateurs comme professionnels peuvent être confrontés à un phénomène similaire que l’on nomme bigorexie. Une dépendance à l’activité physique présentant les mêmes symptômes.
Une pratique de plus en plus lucrative
D’un point de vue économique, le monde du e-sport est en nette progression et cette tendance ne devrait pas s’arrêter de sitôt. Bien que son marché mondial, estimé autour des 2Mds d’euros en 2022, reste loin des standards du secteur sportif qui, à lui seul, représenterait 2% du PIB mondial soit 1200 Mds d’euros (source : sports.gouv.fr), certaines données économiques et sociales du sport et de l’e-sport présentent de fortes similitudes.
D’un point de vue médiatique tout d’abord. Principalement diffusées sur des plateformes de streaming tel Twitch, les retransmissions des plus grandes compétitions de e-sport cumulent plusieurs millions d’heures vues, l’un des événements les plus suivis étant les championnats du monde de League of Legends, ayant atteint en 2020 les 105 millions d’heures vues. L’année suivante, selon les chiffres de Riot Games, l’entreprise d’édition ayant donné naissance à League of Legends, ce même événement avait rassemblé pas moins de 73 millions de spectateurs en simultané. Des chiffres témoignant du réel engouement autour des compétitions de e-sport. À l’image des grands événements sportifs, certaines compétitions se sont déroulées dans des stades, devant plusieurs dizaines de milliers de spectateurs. Ces mêmes championnats du monde de League of Legends s’étaient par exemple tenus en 2017 dans le célèbre stade olympique de Pékin. L’événement avait réuni 40 000 chanceux, ayant réussi à obtenir des places alors que tous les billets furent vendus en quelques minutes seulement.
Désormais, on évalue à plus de 500 millions le nombre de personnes dans le monde suivant au moins une compétition de e-sport par an grâce au streaming. D’après certaines estimations, 20 milliards d’heures de streaming de e-sport compétitif devraient être vues sur la plateforme Twitch sur l’ensemble de l’année 2022. Le mouvement s’exporte d’ailleurs au-delà des plateformes de streaming puisqu’en France, des chaines comme BeinSport ou encore Canal + ont récemment ajouté des émissions de e-sport à leurs programmes.
La communauté du e-sport ne cesse de grandir, le secteur s’avère être de plus en plus lucratif et inévitablement, ces facteurs incitent de nombreuses marques et entités à investir dans le e-sport en devenant sponsor de certains événements ou en rachetant certaines sociétés tel Twitch, devenu propriété d’Amazon en 2014 pour 970 millions d’euros. Afin d’être représentés dans ce nouveau secteur, de nombreux clubs de football possèdent désormais leur propre filière e-sport, recrutant plusieurs joueurs qui affrontent d’autres clubs lors de tournois virtuels. Le PSG, ayant créé sa section e-sport en 2016, fut d’ailleurs l’un des premiers grands clubs européens à s’intéresser à ce milieu, désormais rejoint par Manchester City, l’AS Rome, Valence ou encore l’Olympique Lyonnais.
Lorsqu’on les compare, le business du sport et celui du e-sport s’avèrent être relativement similaires. Dans les deux cas ces univers jouissent d’une importante communauté, possèdent des médias de grande ampleur capable de retransmettre leurs événements et attirent l’intérêt de nombreuses marques se bousculant pour devenir sponsor. Tout comme les plus grands sportifs, les meilleurs joueurs de e-sport de la planète gagnent plusieurs millions d’euros par an, grâce à d’importants contrats de sponsoring mais aussi suite à leurs bons résultats dans les compétitions majeures. Oui. La dotation des plus prestigieux tournois et désormais similaire à certain des plus grands événements sportifs. À titre d’exemple, en juillet 2019, le jeune américain Kyle « Bugha »Giersdorf, âgé de 16 ans seulement, devenait champion du monde sur Fortnite et empochait la somme de 3 millions de dollars. Rafael Nadal, vainqueur de Roland Garros un mois auparavant, repartait avec un million d’euros de moins.
L’épineuse question de la dépense physique
Une organisation identique, des valeurs communes, un système économique similaire et un engouement comparable. Sur ces points cela ne fait aucun doute, le e-sport rejoint les caractéristiques de n’importe quel sport. Reste désormais à trancher sur le plan de la dépense physique et l’importance de ce facteur dans la définition d’un sport. Et là, les avis sont divisés.
Dans l’esprit collectif, sport rime incontestablement avec dépense physique. Et pour cause, à observer la grande majorité des activités considérées comme des sports, beaucoup d’entre-elles requièrent une dépense physique importante et un nombre tout aussi conséquent de calories brûlés.
Pourtant, lorsque l’on regarde la grande liste des sports dits « reconnus » par le Comité International Olympique, on constate que les échecs ou encore le bridge en font partie. Des activités nécessitant un effort cérébral conséquent, beaucoup de concentration, d’interminables heures d’entrainement et ce, bien que l’on reste assis sur une chaise à déplacer des pions ou poser des cartes.
Et puis, à observer certaines disciplines olympiques, on constate également que la dépense physique n’est pas un point commun à tous les sports. Prenez par exemple les cas du tir à l’arc, du tir sportif ou encore du golf. Ces pratiques présentes aux Jeux depuis plus d’un siècle ne requièrent pas une extrême dépense physique et pourtant, la concentration et l’extrême précision qu’elles demandent sont suffisamment importantes pour ne pas remettre en cause leur statut de sport. De plus, personne n’osera dire d’un champion olympique de tir à l’arc ou de Tiger Woods qu’ils ne sont pas sportifs, simplement parce qu’ils brûlent moins de calories qu’Eliud Kipchoge.
Dans ce sens, l’e-sport doit-être considéré comme une pratique sportive. Appuyer sur des boutons n’est certes pas très physique, mais cela ne l’est pas moins que déplacer des pions sur un échiquier ou bander un arc. La notion de dépense physique est l’une des caractéristiques communes à de nombreux sports mais elle n’est guère LA caractéristique déterminant si une discipline doit être considérée comme sportive ou non. L’e-sport ne possède pas une forte dépense physique donc, au même titre que de nombreuses disciplines dont certaines figurent même au programme des Jeux Olympiques, le plus grand événement sportif au monde.
Alors, le e-sport, est-ce un sport ou non ? Et bien en reprenant les quatre points majeurs permettant de définir ce qu’est un sport (activité physique, notion de jeu, pratique compétitive, régi par des règles), le monde du gaming coche les quatre critères. Le premier fait certes plus débat que les autres, mais si l’on inclut les réflexes psychomoteurs conséquent que doivent acquérir les meilleurs joueurs de e-sport, oui, on peut parler d’une activité physique bien que la dépense physique reste minime, comme dans d’autres disciplines sportives.
De plus, la sphère du e-sport s’avère être structurée comme celle du sport, avec des clubs, des compétitions, un entrainement rigoureux et encadré par des professionnels, ainsi qu’un fort élan médiatique et un business économique lucratif. Les chiffres ne sont pas encore comparables au marché du sport certes, mais la croissance du e-sport est actuellement plus importante.
Pour toutes ces ressemblances, le e-sport peut légitimement avoir le statut de sport, comme le possède les échecs, le bridge ou encore le billard. Reste encore à convaincre une grande part de la population, puisque d’après un sondage réalisé par Odoxa en 2019, 70% des Français ne considèrent pas le e-sport comme un sport et 79% sont opposés à l’intégration du e-sport au programme olympique.