Le 11 juin 1955 sur les coups de 18 heures, le sport automobile vivait son heure la plus noire. Au 35etour de course des 24 Heures du Mans, la Mercedes-Benz 300 SLR pilotée par Pierre Levegh décollait après avoir percuté une Austin-Healy. L’explosion qui s’en suivi et les débris projetés dans les tribunes provoquèrent la mort de 78 personnes, faisant de cet accident le plus dramatique de l’histoire du sport automobile.
Jaguar et Mercedes se livrent bataille
Samedi 11 juin 2025, 18 h 25. Voilà bientôt deux heures et demie que le départ de la 23e édition des 24 Heures du Mans a été donné et en piste, le duel entre Jaguar et Mercedes faisait rage. Victorieuse en 1953 et battue de peu l’année suivante par Ferrari, l’écurie britannique devait surveiller dans ses rétroviseurs le retour en force des Mercedes. Après deux années d’absence, le constructeur allemand avait engagé trois Flèches d’Argent. Des Mercedes-Benz 300 SLR, conçues, développées et sorties d’usine quelques mois avant le rendez-vous sarthois.
Des trois Mercedes alignées, seule la n°19 pilotée par Juan Manuel Fangio et Stirling Moss parvenait à suivre le rythme effréné imposé par la Jaguar type D de tête, conduite par les Britanniques Mike Hawthorn et Ivor Bueb. Les deux duos ne se lâchaient pas. Après plus de deux heures de course, à zigzaguer dans le trafic et prendre des tours sur les retardataires, les deux voitures n’étaient séparées que d’une dizaine de secondes. Juan Manuel Fangio mettait la pression sur Mike Hawthorn, ce dernier retardait le plus longtemps possible son arrêt au stand pour conserver la tête. À la fin du 35e tour de course, les ressources en essence devenaient insuffisantes pour effectuer une boucle supplémentaire. Le pilote Jaguar se résolut à rentrer aux stands.
Un dépassement dangereux
Pour perdre le moins de temps possible, Mike Hawthorn tenta une ultime manœuvre de dépassement avant de plonger dans la voie des stands. À la sortie du virage de « Maison Blanche », qui précède une courte ligne droite au bout de laquelle se trouvait l’entrée des stands, Mike Hawthorn se décala sur la gauche pour doubler l’Austin-Healey pilotée par son compatriote Lance Macklin. Un véhicule attardé, qui roulait bien moins vite et comptait désormais quatre tours de retard sur la Jaguar n°6. Mike Hawthorn le dépassa, puis se rabattait juste devant lui pour plonger dans la voie des stands. Le pilote britannique arrivait à trop haute vitesse et pila juste devant l’entrée des stands. Derrière lui, Lance Macklin fut surpris par la manœuvre. Il donna un coup de volant instinctif et se déportait à gauche de la piste, sur la trajectoire de la Mercedes n°20 du français Pierre Levegh, qui arrivait lancée à pleine vitesse. Le delta de vitesse entre les deux voitures était trop important pour que l’accident soit évitable. Pierre Levegh eut à peine le temps de freiner. En percutant à plus de 200 km/h l’arrière gauche de l’Austin-Healey, sa Mercedes s’envolait.
Les 24 Heures du Mans 1955 sombrent dans le chaos
Après un vol plané, la Mercedes-Benz 300 SLR de Pierre Levegh rebondissait sur le muret séparant les tribunes de la piste. À l’impact, la voiture se disloquait et de lourdes pièces étaient projetées en direction des tribunes. Le capot, le train avant, le moteur ou encore le radiateur balayèrent le public sur une soixantaine de mètres. Le reste du châssis explosait en retombant, Pierre Levegh était tué sur le coup.
En quelques secondes seulement, l’esprit de fête laissait place à l’effroi. Le chaos avait gagné les grandes tribunes du circuit du Mans, où les cadavres se comptaient déjà par dizaine. Pour éviter un engorgement des routes environnantes et ainsi faciliter la venue des premiers secours, l’organisation décidait de ne pas interrompre la course. Durant trois heures, un incessant va-et-vient d’ambulances transportait les blessés les plus graves en direction des hôpitaux environnants. Soixante-dix-neuf personnes y laissèrent leur vie. L’immense majorité d’entre eux avaient été fauchés par les pièces de la Mercedes-Benz qui s’étaient disloquées. Un commissaire de piste, lui, décédait après avoir été percuté par l’Austin-Healy de Lance Macklin, qui perdait le contrôle de son véhicule à cause du choc.
Mercedes se retire, Jaguar s’impose au Mans
En deuxième position de la course au volant de sa Mercedes n°19, Juan Manuel Fangio se trouvait juste derrière Pierre Levegh au moment de l’accident. D’un signe de la main, le pilote français l’avait averti de ne pas le dépasser tout de suite. Par ce geste, le pilote tricolore lui sauva certainement la vie. Juan Manuel Fangio eut le temps de freiner et évitait le drame. Il esquiva miraculeusement les débris et poursuivait la course jusqu’au milieu de la nuit, lorsqu’un ordre venu du siège à Stuttgart demandait à Alfred Neubauer, directeur de l’écurie Mercedes, de retirer les deux Flèches d’Argent encore en piste. Bouleversé par cet incident, le constructeur allemand se retirait du sport automobile à la fin de l’année 1955. Ils ne reviendront au Mans qu’en 1987, en tant que motoriste et partenaire de l’écurie Sauber.
Souvent pointés du doigt pour son dépassement dangereux qui provoqua l’accident, Mike Hawthorn et l’écurie Jaguar, eux, restèrent en piste et achevèrent la course. Sans rivaux depuis le retrait de la Mercedes n°19 de Juan Manuel Fangio et Stirling Moss, la Jaguar n°6 remportait ces 24 Heures du Mansavec cinq tours d’avance sur l’Aston Martin DB3S n°23, pilotée par Peter Collins et Paul Frère. La deuxième victoire de l’écurie britannique en terre sarthoise.
Les conséquences du drame
Dès le soir même de l’accident, les gendarmes débutèrent leurs recherches et une commission d’enquête fut créée le 20 juin 1955. Par manque de témoins fiables et de sources vidéo, il était impossible de désigner un responsable à ce drame. L’enquête aboutissait à un non-lieu en novembre 1956, l’accident fut classé comme un fait de course.
Bien que considéré, à cette époque, comme l’un des circuits les plus sûrs d’Europe, l’horreur provoquée par cet accident incita l’Automobile Club de l’Ouest à entamer des travaux pour améliorer la sécurité au Mans. Avant l’édition 1956, les stands furent détruits et reconstruits quinze mètres plus loin, afin d’élargir la piste. Les gradins sont également reculés de quelques mètres, et repensés pour améliorer la sécurité des spectateurs. Malgré l’effroi vécu l’année précédente, les spectateurs s’amassèrent en nombre dans cette nouvelle tribune, pour assister à une édition 1956 de nouveau dominée par Jaguar.