Le 8 mai 1955, la 10e édition du Tour d’Espagne s’achevait dans les rues de Bilbao et couronnait un Français. Jean Dotto, âgé de 27 ans, devenait le premier tricolore à graver son nom au palmarès de la Vuelta.
Né à Saint-Nazaire d’un père italien, Jean Dotto avait l’étoffe d’un champion dès que la route se cabrait. Le « vigneron de Cabasse », tel qu’il était surnommé après son installation dans le Var, décrochait ses premiers bouquets lors de courses de côte organisées au Mont-Faron, au Mont-Agel, à la Turbie ou encore sur les pentes du Puy de Dôme. Jean Dotto les remporta toutes. Considéré comme l’un des meilleurs grimpeurs de sa génération, il aurait sans doute pu étoffer son palmarès de quelques courses de renoms si ce Provençal d’adoption n’avait pas croisé la route des illustres Fausto Coppi, Louison Bobet, Ferdi Kübler, Hugo Koblet ou encore Federico Bahamontes. Avant de prendre le départ de son tout premier tour d’Espagne en 1955, le grimpeur de 27 ans s’était offert le Critérium du Dauphiné en 1952, avant de terminer quatrième du Tour de France 1954 avec une victoire d’étape à la clé, bien évidemment glanée dans les Alpes.
Le Tour d’Espagne renaît
S’il ne le découvrait qu’à 27 ans, Jean Dotto ne put faire autrement. Créé en 1935, le Tour d’Espagne connut un démarrage difficile. Interrompue durant la guerre d’Espagne puis la Seconde Guerre mondiale, la Vueltadisparaissait en 1951, lâchée par le quotidien hispanique Diario Ya qui l’organisait. En 1955, le journal basque El Correo relançait la course et délocalisait départ et arrivée chez eux, à Bilbao. Pour cette première édition après cinq années d’interruption, l’épreuve était réduite à une course par étape de deux semaines. Un mini Tour de France en terre hispanique, avec des équipes nationales comme sur la Grande Boucle et un maillot de leader du classement général qui devenait jaune.
Ces nouveautés attiraient quelques coureurs de renoms. Double vainqueur du Giro en 1948 et 1951, Fiorenzo Magni était le chef de file de la délégation italienne. L’Espagne engageait Federico Bahamontes, vainqueur du Grand Prix de la Montagne pour sa première participation au Tour de France en 1954, et l’équipe de France, sous l’égide de son directeur sportif Sauveur Ducazeaux, présentait un collectif de six coureurs articulé autour de Raphaël Géminiani, sextuple vainqueur d’étape sur les routes du Tour et champion de France en 1953. Au total, ils étaient 106 coureurs à prendre le départ de cette 10e édition du Tour d’Espagne, soit deux fois plus qu’en 1950.
Français et Espagnols se livrent bataille
Tout au long des deux semaines de course, la lutte pour le classement général se résuma à un duel France – Espagne, arbitré par un collectif italien hors-jeu pour la course au maillot jaune, mais qui décrocha neuf victoires sur les dix dernières étapes de cette Vuelta.
Le Lorrain Gilbert Bauvin prenait les commandes du classement général au soir d’une première étape peu avare en spectacle, sur les routes escarpées du Pays basque. Vainqueur à Saint-Sébastien puis à Bayonnedès le lendemain, Gilbert Bauvin lâchait le maillot jaune à l’Espagnol Jesús Loroño, parti en échappée, sur la troisième étape menant à Pampelune. Deux jours plus tard, la tunique dorée revenait aux mains de l’équipe de France. Comme depuis le début de cette Vuelta, les attaques se multipliaient et le peloton volait en éclats dans cette 5e étape. L’équipe de France la joue collectif, le contingent espagnol vacille et Raphaël Géminianiprofite de ce désordre pour s’emparer de la tête du classement général.
Le Clermontois perdra sa tunique jaune trois jours plus tard, piégé par une échappée fleuve au sein de laquelle s’était immiscé l’espagnol René Marigil qui prenait les commandes du classement général.
Jean Dotto parachève l’oeuvre collective de l’équipe de France
L’équipe de France devait réagir et profitait de la 10e étape pour s’exécuter. Entre Valence et Cuenca, Sauveur Ducazeaux demanda à ses coureurs de faire diversion en jouant sur deux tableaux. Pendant que Raphaël Géminiani restait dans le peloton, aux côtés du collectif espagnol articulé autour de leur nouveau leader René Marigil, Jean Dotto partait en échappée en compagnie de quatre autres coureurs. Les cinq fuyards prenaient le large et creusaient un écart supérieur à dix minutes. Voyant qu’il perdait tout espoir de remporter ce Tour d’Espagne, Raphaël Géminiani attaquait en tête de peloton et se lançait à la poursuite de l’échappée. En vain. Géminiani s’épuisa et se résolut à laisser son compatriote triompher. Jean Dottoterminait troisième de cette 10e étape et arrivait avec près de douze minutes d’avance sur le peloton. Hors du top 10 le matin, il prenait les commandes du Tour d’Espagne pour ne plus jamais quitter la tête du classement général. À Bilbao, le 8 mai 1955, Jean Dotto achevait la Vuelta avec le maillot jaune sur les épaules. Raphaël Géminiani montait sur la troisième marche du podium.
À 27 ans, le Provençal d’adoption devenait le premier français à inscrire son nom au palmarès de la Vuelta. Trois années plus tard, Jean Dotto était rejoint par Jean Stablinski, puis Jacques Anquetil vainqueur en 1963, Raymond Poulidor en 1964, Roger Pingeon en 1969, Bernard Hinault en 1978 et 1983, Eric Caritoux en 1984 et Laurent Jalabert en 1995. Le dernier vainqueur français du Tour d’Espagne, il y a trente ans déjà.