Comme chaque année depuis près de 80 ans, les coureurs du Tour de France s’élanceront au mois de juillet sur un parcours inédit. Si les premières éditions de la Grande Boucle empruntaient un chemin de ronde longeant les frontières de la France et ne changeant guère d’une année sur l’autre, cette ère est désormais révolue. Pour garantir le spectacle sportif et offrir à toutes les régions la visibilité qu’apporte le Tour de France, les organisateurs proposent chaque année un tracé nouveau, mélangeant routes inédites et ascensions mythiques ayant fait la renommée de cet événement. Mais comment font-ils pour toujours se renouveler, sélectionner les villes étapes ou encore déterminer quelle route sera empruntée au-dépend d’une autre ? Des premières ébauches jusqu’à son annonce au mois d’octobre, plongez dans la construction du parcours du Tour de France de nos jours, un long processus s’étalant généralement sur plus de deux années.
Première étape : Définir la ville départ
La construction du tracé du Tour de France débute généralement deux ans et demi à l’avance. Bien avant de sélectionner méticuleusement chaque ville étape ou effectuer diverses reconnaissances en voiture, dessiner le parcours commence par définir son point A. Le grand départ de la Grande Boucle. S’effectuant de plus en plus à l’étranger, le début de la grande messe du cyclisme se doit d’être grandiose. Avec les caméras du monde entier braqués sur cette dernière, la ville départ qui le temps de quelques jours sera capitale du cyclisme doit être capable d’assumer pleinement cette faveur, d’où l’importance de la choisir avec soin.
Ainsi, le directeur du Tour de France Christian Prudhomme accompagné de son équipe de traceurs étudie les diverses candidatures plus de deux ans en amont. À cette date, la ville départ est choisie et les deux à trois premières étapes de la Grande Boucle sont dans leurs grands axes élaborées en faisant notamment le choix des villes étapes. Généralement, vient dans les mois qui suivent une communication de la part d’Amaury Sport Organisation (la société organisatrice du Tour de France), afin d’annoncer le choix de cette ville départ et le tracé des premières étapes. Une sorte de teasing permettant de tenir spectateurs, cyclistes et journalistes en haleine et les faire patienter jusqu’à la révélation intégrale du parcours s’effectuant plusieurs mois après.
Deuxième étape : Choisir une ligne directrice au Tour de France
Une fois le grand départ choisi, reste à tracer trois semaines de course entre ce point A et le point B final qui jusque-là fut toujours jugé à Paris. Quinze à dix-huit mois avant le début du Tour, le directeur de la Grande Boucle se penche alors sur la ligne directrice qu’il souhaite suivre.
Ces dernières années, les diverses éditions du Tour de France ont parfois cherché à suivre des thématiques bien précises. Pour la 100ème édition en 2013, on mit l’accent sur la beauté des paysages avec un départ donné en Corse, l’île de beauté accueillant pour la première fois de son histoire cet événement. L’édition 2017 fut quant à elle la première à traverser les cinq grands massifs montagneux français tandis qu’en 2018, pour célébrer les 100 ans de l’armistice, la Grande Boucle fit un détour dans le Nord. Arrivant à Roubaix, la neuvième étape de cette édition devait initialement partir à proximité de la clairière de Rethondes ou fut signé l’armistice de la Première Guerre Mondiale. Mais la finale de la Coupe du Monde de football se déroulant le même jour avec un coup d’envoi donné à 17 heures, l’étape fut raccourcie et le départ donné à Arras pour qu’elle puisse se finir suffisamment tôt.
Chaque année, Christian Prudhomme cherche ainsi à donner un sens au tracé de la Grande Boucle en définissant un fil conducteur à suivre. Lorsqu’une thématique ne ressurgit pas, il se penche sur les régions à intégrer au parcours, les ascensions majeures auxquelles les coureurs seront confrontés et le profil de l’étape reine du Tour de France, celle qui devrait être la plus spectaculaire en termes de spectacle sportif et créer de véritables différences au classement général.
Les organisateurs se font alors doucement une idée de ce à quoi devrait ressembler le futur tracé. On connait les régions qui seront traversées, les ascensions les plus mythiques empruntées ou encore certains sites remarquables que le peloton longera, garantissant chaque année le spectacle télévisuel grâce à des moyens techniques toujours plus pointus. Vient maintenant le temps de sélectionner les villes étapes.
Troisième étape : La sélection des villes étapes
Et avec chaque année plus de 200 candidatures, Christian Prudhomme et ses acolytes ont l’embarras du choix. Bien qu’être ville étape du Tour de France est un privilège onéreux et demande aux municipalités de débourser parfois plus 100 000 € à A.S.O, accueillir cet événement est si intéressant en termes de retombées économiques et médiatiques que les villes se bousculent pour figurer sur la carte du Tour.
En fonction de la ligne directrice précédemment établie, Christian Prudhomme sélectionne alors les villes étapes de l’édition future. Lorsque plusieurs villes géographiquement proches sont en concurrence, il s’attarde sur leur capacité à accueillir l’événement. Troisième événement sportif le plus suivi au monde, loger et nourrir les journalistes, coureurs, équipes, et l’ensemble du staff demande d’avoir de nombreux hôtels à disposition. Une première contrainte à laquelle vient s’ajouter l’installation et le stockage de l’ensemble du matériel technique cheminant de ville en ville au rythme de la course, qui doit lui aussi trouver sa place dans la ville étape le temps de l’événement.
Lorsque plusieurs communes cochent ces critères permettant d’assurer un bon déroulé organisationnel, le choix peut alors s’effectuer selon leurs antécédents sur la Grande Boucle. Une ville n’ayant pas accueillie l’événement depuis un certain nombre d’années sera généralement privilégiée et obtiendra un départ ou une arrivée au dépend de ses concurrentes. Trois mois avant la révélation officielle du parcours s’effectuant traditionnellement au mois d’octobre, l’intégralité des villes étapes sont connues. Reste encore à les relier entre elles en s’attardant au tracé du parcours.
Quatrième étape : Tracer le parcours entre ces villes
Une quatrième étape s’effectuant généralement durant l’été. En compagnie de Christian Prudhomme, l’équipe en charge de tracer le parcours s’exécute d’abord via des cartes et des logiciels tel Google Maps ou Strava, leur permettant de dénicher les segments et les portions de route les plus intéressantes. L’objectif n’étant pas d’avoir un parcours le plus linéaire possible mais bel et bien le plus riche. Riche aussi bien en termes de paysage et de curiosité culturelle qu’en terme de difficulté et d’originalité des routes empruntées, afin de garantir un spectacle aussi bien visuel que sportif.
Afin de se renouveler chaque année, les organisateurs peuvent faire confiance à un vaste réseau composé aussi bien d’élus locaux que d’organisateurs de course de cyclisme ou autre. Il arrive fréquemment que ces derniers contactent directement l’organisation et proposent de nouvelles portions ou des ascensions inédites. Le plateau des Glières, figurant pour la première fois sur le parcours du Tour en 2018 avait ainsi été suggéré par des membres des collectivités territoriales de Haute-Savoie, tandis que le terrible Col de la Loze découvert récemment par la Grande Boucle fut proposé par la station de Méribel.
Lorsque les étapes du Tour de France sont numériquement tracées, il est temps pour Christian Prudhomme et ses hommes de prendre la voiture, sillonner la France et effectuer la reconnaissance du futur parcours du Tour. Une étape cruciale. Elle permet de s’assurer que les routes sont praticables et que les dangers naturels ou les obstacles urbains ne présentent aucun risque pour l’intégrité physique des coureurs. La reconnaissance d’une étape prenant généralement une journée, les traceurs de la Grande Boucle prennent tout au long du parcours des notes. Ils décident si certaines portions d’asphalte seront à refaire, si des zones devront être sécurisées et réfléchissent au placement des divers points stratégiques tel les sprints intermédiaires, les grimpeurs, les zones de ravitaillement ou de collecte des déchets.
À la fin du mois de septembre, au terme de cette intense période de reconnaissance et d’échange avec des élus locaux, le parcours du futur Tour de France est dans sa grande majorité connu par les organisateurs. Une fois dévoilé aux coureurs et au grand public durant le mois d’octobre, il arrive que de légers changements de dernière minute s’opèrent pour des raisons techniques, logistiques ou encore de sécurité. Le parcours de la 5ème étape du Tour de France 2022 en est l’exemple le plus probant, modifié à moins de deux semaines du départ pour contourner un nouvel aménagement routier jugé dangereux par les organisateurs.
Au total, plus d’une année se sera écoulée entre le choix de la ville départ et l’annonce du tracé définitif. Un long processus durant lequel les organisateurs sont chaque année confrontés à de nombreuses contraintes et problématiques.
La création du parcours face à ses problématiques et contraintes
Si garantir le spectacle sportif et télévisuel en proposant à chaque édition un parcours attrayant pour les coureurs comme les spectateurs peut paraitre simple, les organisateurs de la Grande Boucle doivent en réalité faire face à une série de contraintes et problématiques.
La première vient de l’UCI et de ses exigences. En tant qu’épreuve du World Tour, le Tour de France, au même titre que le Giro ou la Vuelta, doit répondre à divers impératifs imposés par l’Union Cycliste Internationale. Dans sa totalité, le parcours de la Grande Boucle ne peut par exemple pas dépasser les 3500 kilomètres. Il doit être réalisé en exactement 21 étapes tandis qu’au moins deux jours de repos seront impérativement accordés aux coureurs. En ce qui concerne la longueur de chacune des étapes, cette donnée est également soumise à une règlementation stricte puisque seules deux d’entre-elles peuvent excéder les 240 kilomètres. D’années en années, ces demandes de l’UCI n’évoluent guère et ne constituent plus une surprise pour des organisateurs habitués à les prendre en considération dans l’élaboration de leur parcours. Un moindre mal au vu des nombreuses autres problématiques auxquelles ces derniers doivent faire face.
Et l’une des plus contraignantes reste sans aucun doute l’importante logistique que requiert l’organisation du Tour. Qu’ils soient journalistes, médecins, mécaniciens, caravaniers ou encore en charge de l’installation des infrastructures, à chaque édition, plusieurs milliers de personnes accompagnent les coureurs en travaillant directement sur le Tour de France. Des hommes et des femmes qu’il faut nourrir et loger, du matériel devant être stocké et des infrastructures volumineuses requérant tout l’espace nécessaire pour qu’elles soient montées et démontées en un temps record.
Inévitablement, tout cela influe sur le tracé du parcours et le choix des villes étapes. Malgré tous les moyens financiers dont il puisse jouir, un petit village aux ruelles étroites et éloigné de toutes grandes villes pourra difficilement prétendre à accueillir cet événement aux moyens logistiques démesurés. Chaque jour est un nouveau déménagement. Dans l’élaboration du tracé, les organisateurs doivent ainsi redoubler de vigilance pour s’assurer que les routes soient suffisamment larges et en bon état pour garantir le passage des coureurs comme l’intégralité des véhicules suiveurs sans la moindre difficulté. Si les bus des équipes, les camions régies et les convois transportant l’ensemble des infrastructures et du matériel technique empruntent quant à eux les grands axes routiers dès la nuit ou le matin avant même le départ des coureurs, une fois arrivée dans la ville étape, tout doit être parfaitement organisé et agencé afin de perdre le moins de temps possible. Le choix des communes traversées par la Grande Boucle est ainsi crucial, l’espace à disposition devant être suffisamment grand pour que cet immense ballet puisse s’exécuter quotidiennement sans la moindre difficulté.
Enfin, pour que tous puissent profiter de cette incroyable vitrine touristique et culturelle qu’est le Tour de France, les organisateurs se doivent de ne léser aucun territoire en visitant régulièrement chaque recoin de la France.
Bien évidemment, traverser toutes les régions de la France en une seule et même édition reste tout bonnement impossible. Au fil des années, le parcours doit ainsi être constamment pensé et construit de sorte à mettre un territoire en avant, lequel sera alors laissé de côté durant les éditions suivantes au profit d’autres départements peu traversés par la Grande Boucle. Et ainsi de suite, la volonté de Christian Prudhomme étant que chaque région puisse accueillir le Tour de France et jouir de son intérêt économique au moins une fois tous les cinq ans.
Malgré tous ces efforts fournis par le comité d’organisation, des inégalités territoriales persistent. La Corse n’a par exemple été traversée qu’à une seule reprise par le Tour de France, en 2013 à l’occasion du grand départ de cette édition. L’Indre est quant à lui le département situé sur le continent le moins traversé par la Grande Boucle. Ajouté au tracé pour la première fois en 1992, il n’a depuis été visité qu’à neuf reprises.
À l’inverse, Paris a jusqu’à présent toujours fait figure de ville arrivée tandis que les Alpes et les Pyrénées sont chaque année au programme du Tour de France. Le département des Hautes-Pyrénées fut notamment traversé à 105 reprises en l’espace de 109 éditions. Un record si l’on excepte le cas unique du département parisien, accueillant l’arrivée finale sur la plus belle avenue du monde.