Usain Bolt aurait-il pu battre le record du monde du 400m ?

Usain Bolt aurait-il pu battre le record du monde du 400m ?

Recordman du monde du 100m, son grand gabarit (1,96 mètres) lui permettait également d’exceller sur des sprints plus longs tel le 200m, une distance sur laquelle il s’empara également du record du monde en 2009. Mais sa grande foulée lui procurant une vitesse de pointe inégalable lui aurait-il permis de briller également sur 400m, et devenir le champion incontesté sur toutes les distances du sprint ? Tentons de répondre à cette question en analysant les qualités propres à un coureur de 400m puis en analysant les avantages et défauts que possède Usain Bolt pour exceller sur le tour de piste.  

I. Comprendre la différence entre un 100m et un 400m

1. Les qualités physiques indispensables sur 100m

Bien que tous deux considérés comme des épreuves de sprint, le 100m et le 400m présentent d’innombrables différences. Ainsi, un spécialiste de la ligne droite ne va pas obligatoirement exceller sur le tour de piste. C’est même bien souvent le contraire. 

Considéré comme un sprint court, le 100m mais également le 200m, sont courus à vitesse maximale. Le but étant de réaliser le départ le plus explosif possible afin d’atteindre sa vitesse de pointe rapidement et parvenir à la conserver jusqu’à la fin de la course. Les sprinteurs n’ont donc pas le temps de réfléchir. Ils doivent fournir dès le départ l’effort le plus intense possible et le maintenir jusqu’à l’arrivée malgré le décroissement naturel de la vitesse maximal. D’un point de vue physique, bien que les profils aient de nos jours tendance à se diversifier, un spécialiste du 100m devra en règle générale être doté d’une masse musculaire conséquente lui permettant d’être suffisamment puissant et explosif pour gagner en vitesse et ce au détriment de leur poids. 

2. Le 400m, un sprint long demandant davantage de résistance au dépend de l’explosivité

Sur 400m, le déroulé de la course est bien différent. N’imaginez pas débuter votre tour de piste de la même façon que sur 100m ou 200m. C’est une stratégie vouée à l’échec. 

Oui, physiologiquement parlant, le corps humain n’est pas capable de supporter l’effort extrêmement intense d’un 100m sur une distance 4x supérieure tel le 400m, considéré quant à lui comme un sprint long. Les spécialistes du tour de piste doivent donc contrôler leur effort afin de tenir la distance. Et cela débute par un départ bien moins explosif que sur un sprint court. 

Cela a été mesuré maintes et maintes fois, le temps de réaction et la poussée sur 400m et bien plus lente que sur 100m. Une fois cette phase terminée, les athlètes atteignent sur 400m non pas leur vitesse maximale mais une vitesse de croisière qu’ils seront ainsi capable de tenir bien plus longtemps. Pour les plus grands champions de cette discipline, on constate en règle générale que leur premier 200m est couru entre 1 et 1,5 secondes moins vite que leur record absolu sur cette même distance. Un écart qui parait minime pour le commun des mortels mais qui à long terme, fait de grandes différences. Cela leur permet en effet d’aborder le second 200m de la course avec une plus grande fraicheur que s’ils avaient couru leur premier demi-tour de piste sur les mêmes bases que leur record. 

Durant la seconde partie du 400m, l’objectif sera de maintenir le plus longtemps possible cette vitesse de croisière. Avec la distance, la fatigue se fera de plus en plus ressentir, les muscles commenceront à se tétaniser et il sera de plus en plus difficile de supporter l’effort. Ceux ayant déjà couru un 400m le savent, la dernière ligne droite est une interminable descente aux enfers. Certains la compare à un mur. La technique de course se dégrade, les jambes sont de plus en plus lourdes et il est pourtant impératif de lutter pour conserver le peu de vitesse qu’il reste jusqu’au franchissement de la ligne d’arrivée. Un véritable supplice. 

Vous l’aurez compris, l’effort fourni sur un 400m est bien différent que celui sur 100m. Alors que sur un sprint court, le départ joue un rôle capital pour atteindre le plus vite possible sa vitesse maximale, sur 400m, ces critères de puissance et d’explosivité indispensables sur 100m ont une importance moindre. L’effort est plus long et les spécialistes du tour de piste doivent faire preuve d’une bien plus grande résistance à l’effort. Pour se faire, la morphologie bien plus longiligne du coureur de 400m diffère de celle du pur sprinteur. Ils sont généralement plus légers et possède des muscles moins volumineux leur permettant d’avoir un rapport poids/puissance plus avantageux et une meilleure endurance musculaire. Des qualités physiques différentes, s’accompagnant également d’une divergence physiologique et des filières énergétiques utilisées.

3. D’un point de vue physiologique, des filières énergétiques différentes

L’effort fourni sur 100m et sur 400m ne fait pas entrer en jeu les mêmes filières énergétiques. Alors que sur 100m, seul la phase anaérobie alactique entre en action, se traduisant par une consommation immédiate et brutale de la molécule ATP (Adénosine Triphosphate) et de la Créatine Phosphate et permettant ainsi de produire suffisamment d’énergie pour tenir cet effort court et extrêmement intense, sur 400m, les filières utilisées sont bien différentes. 

De par la durée bien plus importante de l’effort, la grande majorité du tour de piste est couru en phase anaérobie lactique. Durant cette dernière, afin de compenser la perte des molécules ATP et de la créatine phosphate qui, comme lors d’un 100m, s’épuisent en à peine dix secondes d’effort, l’organisme va chercher à en produire de nouvelles grâce à la dégradation des glucoses. Un processus nommé glycolyse. Permettant de supporter l’effort intense sur une durée de temps supérieure, ce processus possède cependant l’inconvénient de produire de nombreux déchets dans les muscles tel les fameux acides lactiques ou lactate. Bien connu des athlètes, se sont ces derniers qui sont à l’origine de cette sensation de raidissement des muscles, diminuant drastiquement la performance de ces derniers et ainsi la vitesse pouvant être tenue dans la dernière ligne droite du 400m. Et pour cause, dans les ultimes secondes d’une telle épreuve, la concentration d’acide lactique dans le sang est d’environ 19M/l au-delà des valeurs au repos. 

Contrairement aux coureurs de 100m, les pratiquants du tour de piste doivent ainsi avoir une excellente capacité anaérobie lactique, du fait que cette filière est utilisée durant la presque intégralité de la course et reste déterminante dans l’ultime ligne droite du 400m, là où l’effort est le plus insoutenable. Une filière anaérobie lactique efficace permet de réduire l’apparition d’acide lactique et être ainsi plus efficace dans les cinquante derniers mètres. 

Bien qu’un entrainement adapté et bien spécifique permette d’améliorer cette filière anaérobie lactique, il y a comme souvent dans le monde de l’athlétisme un facteur inné. Naturellement, certains athlètes auront une filière lactique bien plus efficace, leur permettant de repousser le plus tard possible l’apparition de ces lactates, leur permettant de perdre le moins possible en vitesse durant la dernière ligne droite. 

II. Usain Bolt, un sprinteur taillé pour le 400m ?

1. Des débuts fracassants sur 400m

À en croire ses débuts en athlétisme, Usain Bolt semblait avoir des prédispositions naturelles pour le 400m. En 2001, alors qu’il n’était âgé que de 14 ans, le futur Roi du sprint n’avait pas encore fait du 100m sa spécialité. Au contraire, il excellait sur 200m et 400m. Sa grande taille et son physique longiligne lui conférait d’excellentes facultés sur le tour de piste. Un atout qu’il sut convertir cette année-là en une médaille d’argent lors des championnats d’athlétisme juniors de la Caraïbe avec un chrono de 48,28 secondes. Bien qu’il restait encore à cinq secondes du record du monde absolu, détenu à cette époque par Michael Johnson et ses 43,18 secondes établis à Séville en 1999, son jeune âge et le développement physique qu’il allait connaitre au cours de ses prochaines années faisait de lui une futur pépite de l’athlétisme mondial. 

Il confirma ces espoirs deux ans plus tard, en décrochant cette fois-ci à 16 ans la médaille d’or sur 400m lors des championnats d’athlétisme juniors de la Caraïbe, avec un chrono de 45,35 secondes. Un temps référence pour un successeur annoncé de Michael Johnson. Preuve de sa grande précocité, ce même Michael Johnson avait dut attendre ses 20 ans pour courir le 400m en 45 secondes. Bolt, venait de le faire à l’âge de 16 ans. 

Puis la carrière d’Usain Bolt sur 400m s’arrêta globalement à ce stade. Ayant déjà dans un coin de sa tête le 100m, son entrainement s’éloigna quelque peu de celui du coureur de 400m et son niveau sur le tour de piste ne s’améliora guère. En 2007 à Kingston, il signa un chrono de 45,28 secondes, le meilleur temps de toute sa carrière sur cette distance. Alors âgé de 20 ans, il ne courait pas encore le 100m en moins de 10 secondes mais n’était qu’à une année de son éclosion sur la scène internationale, durant laquelle il s’empara du record du monde du 100m et 200m. 

2. Usain Bolt, un physique taillé pour les sprints longs

Sa domination sur 100m, il la doit essentiellement au travail et à l’acharnement. Car d’un point de vue morphologique, sa grande taille (1,96 mètres) ne le prédestinait pas à devenir l’indétrônable recordman du monde de la discipline. 

Oui, Usain Bolt était avant tout un spécialiste du 200m, une distance sur laquelle il écrasait avec une plus grande facilité ses concurrents. Il devait sa domination en partie à sa grande foulée qui était bien plus avantageuse sur un sprint long en lui conférant une vitesse de pointe supérieure à celle de ses adversaires sans dépenser davantage d’énergie. Nul doute que sur 400m elle lui aurait aussi été un sérieux avantage. Doté de la meilleure vitesse maximale du sprint mondial et auréolé d’un record du monde du 200m, il aurait, sur le tour de piste, naturellement pu courir le premier 200m plus rapidement que ses adversaires. À condition d’être doté des qualités physiques et physiologiques nécessaires pour maintenir cette vitesse en seconde partie de course….

3. Le choix du 100m au dépend du 400m

Et c’est là son principal défaut. Malgré ses excellents chronos qu’il réalisait dans les catégories juniors, au sommet de sa carrière professionnelle, Usain Bolt ne disposait pas des qualités physiques et physiologiques lui permettant de tenir la distance sur 400m. 

L’une des principales raisons de ce manquement était simple et limpide : Le Roi du sprint refusait de monter sur le 400m. Malgré la volonté de son entraineur et l’envie de nombreux observateurs, Usain Bolt s’opposait catégoriquement à une spécialisation sur le tour de piste. Il le répéta d’ailleurs dans de nombreuses interviews, il trouvait l’entrainement du 400m bien trop difficile et ne souhaitait pas se confronter à ce dernier. 

S’étant trouvé des qualités lui permettant d’exceller sur des sprints courts tel le 100m, Bolt préféra ainsi durant sa carrière travailler son explosivité et sa puissance musculaire pour se perfectionner sur les départs et cette phase de poussée, son principal point faible. Un travail acharné qui lui permit de rivaliser avec les meilleurs sprinteurs de la planète et première partie de 100m, avant de dérouler sa grande foulée en deuxième partie de course et faire définitivement la différence, seul, devant tous ses concurrents qui ne pouvaient suivre un tel phénomène. Indéniablement, cet entrainement lui ayant permis de gagner en explosivité lui fit perdre les qualités de résistance à l’effort qu’il possédait étant plus jeune et qui lui avait notamment permis de courir le 400m en 45 secondes alors qu’il n’avait que 16 ans. Mais en même temps, un Usain Bolt, champion incontesté du 400m, n’aurait pas eu la même aura qu’Usain Bolt, champion incontesté sur 100m.  

Alors, Bolt aurait-il pu battre le record du monde du 400m ? S’il avait poursuivi sa spécialisation sur le tour de piste, il est fort à parier que le record du monde du tour de piste détenu à cette époque par Michael Johnson n’aurait pas tenu face au talent du sprinteur jamaïcain. La barrière des 43 secondes non plus d’ailleurs.

Mais en préférant se spécialiser sur 100m et 200m, Usain Bolt avait certainement fait une croix sur le record du monde du 400m. Ses entrainements taillés pour qu’il gagne en force explosive lui ont fait perdre la résistance musculaire, indispensable sur 400m, qu’il possédait étant plus jeune. 

Est-ce qu’un changement de plan en cours de carrière et un entrainement davantage orienté autour de la pratique du 400m aurait-pu permettre à Bolt de devenir recordman du monde de la discipline ? Probable mais pas certain. Michael Johnson, interviewé au sujet d’une potentielle reconversion de Bolt sur 400m, estimait que ce dernier pouvait être largement capable de passer sous la barrière des 43 secondes et ainsi s’emparer du record du monde de la discipline, ce qui aurait fait de lui un triple recordman du monde en détenant les meilleures performances sur toutes les disciplines du sprint. Mais un entrainement spécifique pour le 400m lui aurait certainement fait perdre quelque peu ses qualités d’explosivités qu’il avait développé pour la pratique du 100m. Comme l’atteste Michael Johnon et en omettant le fait que le sprinteur jamaïcain détestait l’entrainement du 400m, Bolt aurait pu probablement battre le record du monde du tour de piste suite à une reconversion. Mais cela aurait nécessité de nombreux sacrifices. Son niveau sur 100m en aurait notamment été affecté et il était peu probable que le Roi du sprint réalisa un triplé historique sur 100m, 200m et 400m au cours d’une même olympiade. À un détail près : Impossible n’était pas dans le vocabulaire d’Usain Bolt. 

 Pour en savoir plus : 

http://www.beep.ird.fr/collect/inseps/index/assoc/MI01-05.dir/MI01-05.pdf

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