Crédit : AFP / Alexey Filippov / Sputnik
Cette année à Pékin, ils sont 212. 212 athlètes russes présents aux Jeux Olympiques d’hiver, défilant non pas sous les couleurs de leur nation mais sous l’appellation ROC pour « Russian Olympic Committee ».
Oui, depuis 2017 la Russie est officiellement bannie des Jeux Olympiques. Les athlètes russes ont le droit d’y participer certes, mais leur drapeau ainsi que la mention « Russie » ne peuvent être utilisés, tout comme leur hymne national, remplacée par le concerto pour piano n°1 de Tchaïkovski en cas de triomphe d’un athlète russe. Mais au fait, pourquoi cette nation habituée à jouer les podiums est-elle privée des Jeux Olympiques ? Retour sur cette sombre affaire mêlant dopage organisé et service secret.
Un large système de dopage organisé par l’Etat
Tout commença en 2014, il y a désormais huit ans lorsque la coureuse de demi-fond Yuliya Stepanova et son mari Vitaly Stepanov, ancien contrôleur à l’agence russe de lutte anti-dopage, étaient les premiers à pointer du doigt l’existence d’un système de dopage institutionnalisé en Russie. En décembre 2014, la chaîne allemande ARD avait alors réalisé à l’aide du couple russe une série de documentaire visant à montrer les dessous d’une telle organisation.
Face à cette étonnante découverte, l’Agence Mondiale Antidopage (AMA) mena une longue enquête de près d’une année et publia en novembre 2015 un rapport mettant en lumière un système de dopage d’Etat organisé par la Russie dans pas moins de 30 disciplines différentes entre 2011 et 2015. La Fédération Russe d’Athlétisme était alors particulièrement pointée du doigt, tout comme RUSADA, l’agence anti-dopage russe accusée d’avoir soutenue ce dopage massif durant les Jeux de Sotchi de 2014.
Les premières réactions ne se firent guère attendre. Informé de la situation, l’IAAF, soit la Fédération internationale d’athlétisme, sanctionna immédiatement la Russie en leur interdisant de participer à l’ensemble de leurs compétitions sportives comprenant notamment les championnats d’Europe, du monde, et l’athlétisme aux Jeux Olympiques. Seule une poignée d’athlètes russes étaient alors autorisés à concourir sous bannière neutre, si et seulement s’ils démontraient ne pas être impliqué dans cette affaire de dopage d’État tout en étant régulièrement soumis à des contrôles anti-dopage. Les Jeux de Rio approchaient à grand pas et cette première sanction tombait alors que l’affaire semblait toujours aussi floue. Mais très vite de nouvelles langues allaient se délier.
Un nouveau témoignage à l’aube des Jeux de Rio
En mai 2016, Grigory Rodchenkov, ex-directeur du laboratoire antidopage de Moscou, avoua en effet par le biais du New York Times avoir organisé et dissimulé lors des Jeux de Sotchi de 2014 la stratégie de dopage russe avec le soutien du ministère des sports et des services secrets. Ce dernier expliquait avoir fourni à des dizaines d’athlètes russes « un cocktail de trois substances interdites mélangées à de l’alcool », puis après chaque contrôle anti-dopage faisait disparaitre les flacons d’urine des athlètes russes par un « trou de souris » menant directement à un agent des services secrets russes. Se faisant passer pour un laborantin de l’AMA, l’agent infiltré avait alors pour mission d’ouvrir le plus proprement possible le flacon et remplacer le contenu par de l’urine propre ne possédant aucune trace de produit dopant.
Trois semaines avant les Jeux de Rio de 2016, l’AMA soutenait ces accusations et souhaitait une exclusion des athlètes Russes. Une demande finalement réfutée par le Comité International Olympique (CIO), préférant mener une enquête au cas par cas qui conduisit à l’éviction de 118 sportifs russes quelques jours avant l’ouverture des Jeux au Brésil.
La première réponse officielle du CIO vint le 5 décembre 2017 et la publication des résultats de son enquête. Le verdict tombe. L’organisation d’un système de dopage d’Etat est avéré. Le Comité Olympique Russe est ainsi suspendu pour les prochains Jeux Olympiques d’hiver devant se tenir l’année suivante à Pyeongchang. L’AMA soutient cette sanction et annonce que certains athlètes russes ont malgré tout le droit de participer à ces Jeux sous bannière neutre, à condition que ces derniers montrent patte blanche en n’ayant pas été impliqués dans cette affaire de dopage d’État.
Un énième rebondissement, la Russie aggrave son cas
L’affaire aurait pu s’en arrêter là, mais il n’en fut rien. Alors que la Russie espérait voir sa sanction levée en vue des Jeux de Tokyo de 2020, elle fit mine de s’ouvrir aux discussions et décida au mois d’avril 2019 d’envoyer à l’AMA une série de documents provenant de son laboratoire antidopage, dans un but de transparence tout en prouvant que leurs athlètes étaient propres. Grave erreur. L’AMA affirma en septembre 2019 avoir reçu de la part de la Russie des échantillons falsifiés. Des accusations confirmés un mois plus tard par le chef du laboratoire antidopage russe Iouri Ganous.
La Russie aggravait là son cas. Alors qu’une participation aux Jeux de Tokyo de 2020 était envisagée, l’Agence Mondiale Antidopage annonce en décembre 2019 que l’exclusion de la Russie à toute compétition sportive internationale est prolongée de quatre années. La Russie faisant appel de cette sanction qu’elle jugea sévère, le Tribunal Arbitral du Sport réduira un an plus tard cette peine à deux années. Elle est ainsi privée des Jeux Olympiques de Tokyo 2020, reportés en 2021, mais aussi de ces Jeux de Pékin et que de toute compétition attribuant un titre mondial, tels les championnats du monde d’athlétisme ou de natation. Son retour sur la scène sportive internationale est prévu à l’occasion des Jeux de Paris 2024, à moins qu’un énième rebondissement vienne un peu plus enfoncer la Russie dans cette spirale infernale.