Crédit : CC BY-NC-ND 2.0 by Antonio Cinotti
Tandis que les championnats ou la Coupe du monde de football, de basket-ball, de handball et de volley-ball ont tous vus le jour durant la première moitié du XXe siècle, le rugby fait figure d’exception. La discipline au ballon ovale a attendu 1987 pour se doter enfin de leur Coupe du monde, mettant ainsi fin à des décennies d’attente autour d’une compétition réunissant les meilleures nations rugbystiques du globe. Pourquoi fut-elle créée si tardivement ?
Des premières tentatives avortées
L’idée d’organiser une compétition internationale de rugby regroupant les meilleures nations des hémisphères Nord et Sud n’est pas nouvelle. En 1900 déjà, le rugby à XV intégrait le programme olympique et donnait naissance à un tournoi ouvert à toutes les nations.
Malheureusement, l’événement organisé à Paris n’avait attiré que trois pays : La France, l’Allemagne et l’Angleterre. Trois nouveaux tournois olympiques suivaient en 1908, 1920 et 1924, mais l’engouement restait au plus bas. L’Australasie participait à l’édition 1908, les États-Unis arrivèrent en 1920 et la Roumanie en 1924. À chaque nouvelle olympiade la compétition ne regroupait qu’un maximum de deux ou trois nations. Le rugby disparaissait du programme olympique, creusant sa propre tombe à la suite d’une finale France – États-Unis se terminant en bagarre générale.
Entre temps, un tournoi international avait été organisé en terre britannique durant le printemps 1919. La King’s Cup. Regroupant des rugbymen venus combattre en Europe durant la Première Guerre Mondiale, l’événement vit la participation du Canada, de la Nouvelle-Zélande, de l’Afrique du Sud et de l’Australie. À leurs côtés, figuraient une délégation regroupant les meilleurs joueurs des quatre nations de Grande-Bretagne, ainsi qu’une équipe composée d’hommes venus de divers horizons. Chaque participant affrontait les cinq autres. Au terme des quinze matchs, l’équipe britannique dénommée « Mère Patrie » l’emportait, devançant au classement général les soldats Néo-Zélandais et les Australiens.
Puis, ces premiers tournois mettant en prise des nations venus des hémisphères Nord et Sud laissaient place au vide. Durant soixante ans, les Cinq Nations était l’unique compétition regroupant plus de deux équipes de rugby. En-dessous de l’équateur les trois nations fortes ne s’affrontaient que lors de tests matchs ou dans le cadre de la Blediscoe Cup, un trophée disputé entre l’Australie et la Nouvelle-Zélande depuis 1932.
En quête de renouveau, la France était la première à émettre le projet d’une compétition de rugby internationale qui soit indépendante des Jeux Olympiques. Initiée en 1947 par le président de la Fédération Française de Rugby Alfred Eluère, l’idée de regrouper à nouveau les hémisphères Nord et Sud dans un même tournoi était aussitôt rejetée par l’IRB (International Rugby Board). À la fin des années 1970, Albert Ferrasse, président de la FFR et de l’IRB relança ce même projet, également avorté face au refus des quatre nations britanniques.
La crainte du professionnalisme refroidit la Grande-Bretagne
Ce que les anglo-saxons craignaient étaient la fin de l’amateurisme au rugby. La fin d’une valeur qu’ils estimaient indissociable de ce sport, à cause d’une Coupe du monde qui, en cas d’immense succès deviendrait une opération commerciale générant de forts profits. Ils n’avaient pas tort. La Coupe du monde démocratisa la popularité du rugby qui accéda au statut de sport professionnel en 1995. En attendant, les nations britanniques continuaient à faire bloc contre l’organisation d’un tel tournoi, au nom de l’amateurisme.
L’IRB partageait la vision des quatre pays de Grande-Bretagne. Refusant l’organisation d’une Coupe du monde en 1983 par crainte de tuer l’amateurisme, l’organisme gérant la pratique du rugby à l’international accepta finalement d’entreprendre des premières discussions, lorsque l’Australie et la Nouvelle-Zélande proposèrent en 1984 d’organiser un mondial sur leurs terres. D’un non catégorique il y a quelques années, l’IRB se saisissait cette fois-ci du dossier et débuta une étude de faisabilité.
L’année suivante du côté de Paris, à l’occasion de la réunion annuelle des huit membres de l’IRB, un vote à bulletin secret allait sceller l’avenir de ce projet de Coupe du monde. Initiateurs du mouvement, l’Australie et la Nouvelle-Zélande pouvaient compter sur le soutien de la France et de l’Afrique du Sud, qui malgré son embargo lié à l’apartheid approuvait le lancement d’une telle compétition. En face, l’Angleterre, l’Irlande, le Pays-de-Galles et l’Écosse restaient à convaincre, toujours attachés à l’amateurisme qu’ils souhaitaient préserver coûte que coûte.
Chaque nation avait deux représentants et jouissait ainsi de deux votes. Les voies de la Nouvelle-Zélande, l’Australie, la France et l’Afrique du Sud allaient toutes dans le même sens. De l’autre côté, les Irlandais et Écossais s’avéraient toujours aussi opposés à l’organisation d’une telle compétition. Le destin de la Coupe du monde reposait sur l’Angleterre et les Pays-de-Galles.
Les représentants de chacune de ces deux nations ne partageaient pas le même avis. L’Angleterre accordait un vote pour et un vote contre, idem pour les Pays-de-Galles. Ainsi, la création de la Coupe du monde de rugby était approuvée à Paris en mars 1985 à 10 voix contre 6. L’International Rugby Board retenait l’Australie et la Nouvelle-Zélande comme nation hôte de cette première édition, devant se tenir en mai et juin 1987.
Hormis l’Afrique du Sud sous le joug de l’embargo, tous les pays membres de l’IRB y participèrent ainsi que neuf nations invitées par cet organisme international. Argentine, Canada, États-Unis, Zimbabwe, Japon, Roumanie, Italie, Fidji et Tonga se mêlèrent ainsi à la première Coupe du monde de rugby de l’histoire, remportée par la Nouvelle-Zélande devant son public, avec la France dans le rôle du finaliste malheureux.