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Le 23 mai 1978, à la veille du départ de l’équipe de France de football en Argentine, pour y disputer la Coupe du monde de football, Michel Hidalgo, le sélectionneur des Bleus, était victime d’une tentative d’enlèvement. Les malfrats : trois individus opposés à la tenue de cette compétition, dans ce pays gouverné par le dictateur Jorge Videla.
Des allers et retours entre son domicile situé à Saint-Savin-de-Blaye, en Gironde, et Paris, Michel Hidalgo en faisait des dizaines par an depuis qu’il avait pris les rênes de l’équipe de France de football en novembre 1975. Mais celui du 23 mai 1978 aurait, qui sait, pu être son dernier.
Sept mois plus tôt, une sélection tricolore prometteuse, emmenée par de nouveaux visages dont Michel Platini et Dominique Rocheteau, décrochait son billet pour le Mondial de 1978, grâce à un succès face à la Bulgarie (3-1) sur la pelouse du Parc des Princes. Douze ans après sa dernière participation, la France était de retour en Coupe du monde.
Une Coupe du monde organisée malgré la dictature
Sportivement, l’événement était immanquable. Mais le contexte géopolitique et cette dictature dans laquelle l’Argentine était plongée depuis le coup d’état du 24 mars 1976 avait déclenché une vaste campagne appelant au boycott. Après avoir renversé le gouvernement d’Isabel Péron, Jorge Videla était proclamé président de l’Argentine par la junte militaire. Le début d’un régime totalitaire basé sur la terreur, d’une presse muselée et de plusieurs milliers d’opposants politiques torturés, tués ou portés disparus. La FIFA, qui avait attribué l’organisation de ce Mondial à l’Argentine avant ce renversement du pouvoir, préférait fermer les yeux sur cette situation. Muette quand il s’agissait d’évoquer ce contexte politique, elle invitait les seize nations qualifiées à se rendre en Argentine. Malgré les nombreux appels au boycott, aucun pays ne renonça à y participer.
Michel Hidalgo désarme ses agresseurs
Comme les autres sélections nationales, l’équipe de France était attendue en Amérique du Sud. La veille du vol prévu le 24 mai, une semaine avant le coup d’envoi de la compétition, Michel Hidalgo quittait son domicile de Saint-Savin-de-Blaye, direction la gare de Bordeaux où un train en direction de Paris l’attendait.
En compagnie de sa femme Monique, le couple roulait sur une route peu fréquentée de Gironde lorsqu’une Citroën GS blanche, qui les suivait depuis de nombreux kilomètres, leur rentra dedans. La voiture, immatriculée dans les Hauts-de-Seine, doubla Michel Hidalgo et le força à s’arrêter sur le bas-côté. Trois hommes barbus descendaient du véhicule. L’un d’entre eux, armé, pointait son calibre 38 dans le dos du sélectionneur tricolore et le fit marcher le long de la route, en direction d’un sous-bois. Une voiture vint et brisait le silence de la scène, sur cette route de campagne habituellement calme. Son passage déstabilisa l’agresseur et Michel Hidalgo en profitait pour le désarmer d’un geste soudain. Ayant vu la scène de loin, les deux autres malfrats restés auprès de Monique sonnèrent l’alerte. Les trois hommes remontèrent dans leur voiture et prirent la fuite.
Michel Hidalgo ramassait l’arme. Elle n’était même pas chargée. Il la déposa au commissariat le plus proche et portait plainte. Le sélectionneur des Bleus, qui venait de manquer son train, était escorté jusqu’à l’aéroport de Bordeaux Mérignac où un avion l’attendait. Une petite heure de vol durant laquelle les questions se multiplièrent dans son esprit. Marqué psychologiquement, Michel Hidalgo hésita à présenter sa démission pour protéger sa famille. Mais à Paris, une discussion avec le président de la FFF Fernand Sastre lui convint à poursuivre l’aventure. Avec ses joueurs, le sélections s’envolait en direction de l’Argentine, sous très haute protection.
Les malfrats voulaient attirer l’attention sur la situation en Argentine
Les jours suivants cette tentative d’enlèvement, des premiers éléments de réponse apparaissaient. Les trois agresseurs avaient été repérés quelques jours plus tôt par des habitants de Saint-Savin-de-Blaye. Déjà, ils rodaient autour du domicile de Michel Hidalgo, à bord de leur GS blanche louée dans les Hauts-de-Seine. Les témoins soulignaient le fort accent espagnol de ces trois malfrats. Au journal de 20 heures, Jean-Pierre Pernaut citait un communiqué diffusé anonymement par un homme revendiquant cette agression. Selon ses dires, il s’agissait d’ « attirer l’attention sur l’hypocrite complicité de la France, qui fournit du matériel militaire en Argentine ». Si l’on n’en sait guère plus sur ces trois individus, il est évident que leur action fut orchestrée pour dénoncer le mutisme de la France et des pays occidentaux face au régime totalitaire qui secouait l’Argentine.
En Amérique du Sud, Michel Hidalgo et ses hommes héritèrent d’une poule relevée, composée de l’Argentine, l’Italie et la Hongrie. Les Bleus passèrent à la trappe dès le premier tour, battus par l’Albiceleste et la Squadra Azzura. Les Argentins remportèrent, à domicile, un mondial qui n’a pas manqué de controverses, les joueurs recevaient le trophée des mains de Jorge Videla.