En règle générale, un 100m n’excède guère les 10 secondes. Discipline la plus brève du riche programme athlétique, ce sprint habituellement si intense se mua lors des championnats du monde de 2003 organisés à Paris en un interminable moment de flottement et d’incompréhension, marqué par des faux-départs à répétition provoquant la colère d’un certain Jon Drummond. Retour sur ce 100m rocambolesque, entrant dans la légende de cette discipline par son incroyable durée : Près de 50 minutes entre le premier faux départ et la victoire d’Ato Boldon.
Un nouveau règlement crispant
Le 1er janvier 2003, le monde du 100m découvrait un nouveau règlement devenant rapidement impopulaire auprès des meilleurs sprinters de la planète. Alors que ces derniers avaient jusque-là droit à un faux-départ chacun, au lendemain de la Saint Sylvestre, seul un faux-départ pour l’ensemble des athlètes était désormais toléré. Les coureurs n’avaient ainsi presque plus le droit à l’erreur. Le second faux-départ était éliminatoire, et ce même si l’athlète fautif n’était pas l’auteur du premier départ volé. Un nouveau point du règlement dont l’américain Jon Drummond et le Jamaïcain Asafa Powell en firent les frais à Paris, au stade de France, lors des quarts-de-finale du 100m comptant pour les championnats du monde d’athlétisme.
Deux faux départs consécutifs, Drummond et Powell disqualifiés
Nous sommes le dimanche 24 août 2003. Après un premier quart-de-finale couru sans encombre, s’apprête à s’élancer dans un stade St-Denis comble le second quart. Une course s’annonçant particulièrement relevée, au sein de laquelle figure notamment Asafa Powell, Jon Drummond, Ato Boldon, Dwight Thomas ou encore le Français Ronald Pognon.
Le départ donné à 18h07 précise, la course fut interrompue quelques secondes plus tard pour un faux-départ du Jamaïcain Dwight Thomas. Une anticipation non-éliminatoire et à priori sans conséquence, si ce n’est que les athlètes n’avaient désormais plus le droit à l’erreur.
Se remettant tous rapidement en place sous les ordres du starter, le second départ fut donné quelques minutes plus tard. Un lancement une nouvelle fois suivi d’un second coup de feu synonyme de faux-départ. Guère visible à l’œil nu, les capteurs électroniques placés sur les starting-block étaient pourtant formels. Avec un temps de réaction inférieur à 100 millièmes, deux athlètes venaient d’anticiper le départ synonyme d’élimination : Asafa Powell et Jon Drummond. Si le premier ne contesta guère sa sentence, le second, âgé de 34 ans et voyant certainement ses derniers espoirs de décrocher un titre mondial s’envoler, nia les faits auprès des juges-arbitres. Le début de 45 interminables minutes de flottement.
« I dit not move », la détresse de Drummond
Excédé par ce faux-départ synonyme de disqualification, Jon Drummond s’en alla voir les commissaires afin d’y demander des explications. Montrant leurs ordinateurs, le sprinter américain y découvrit que son temps de réaction fut mesuré à 52 millièmes, en-deçà de la limite humaine placée à 100 millièmes. Les chiffres ne mentaient pas. Bien que les images ne laissaient pas transparaitre ce faux-départ, les arbitres appliquèrent le nouveau règlement à la lettre et disqualifièrent Asafa Powell ainsi que Jon Drummond. Ce dernier hurlant « I did not move » (« je n’ai pas bougé ») à de multiples reprises comme ultime cri de détresse.
Et le show Drummond ne faisait que commencer devant un public en folie et acquis à sa cause. Malgré les demandes des commissaires, le sprinter américain refusait de sortir de la piste. Pire encore, il s’allongea sur cette dernière et y resta de nombreuses minutes, sous les yeux d’un juge arbitre dressé debout devant lui, faisant signe de quitter les lieux. Mais rien n’y faisait.
Finalement, après de nombreuses minutes sur le sol, Drummond, au bord des larmes, sembla accepter son sort. La mâchoire serrée, les yeux embuées, il se leva et quitta la piste sous les applaudissements du public. Cette improbable scène semblait enfin toucher à sa fin et le sport pouvait enfin reprendre ses droits. Du moins, c’est ce que les 80 000 spectateurs présents ce jour-là pensaient…
D’interminables minutes dans la confusion la plus totale
Car à peine sorti de la piste, un entraineur américain l’interpella et lui demanda de retourner se placer derrière les starting-block, prêt à reprendre le départ. Il n’en fallait pas plus pour faire changer d’avis Jon Drummond. Séchant ses larmes en une fraction de seconde, il revint plus déterminé que jamais sur le tartan du stade St-Denis, haranguant une foule acquise à sa cause.
Drummond était de retour sur la ligne de départ en compagnie des autres sprinters. Tout comme Asafa Powell d’ailleurs, jusque-là sagement assis au pied des tribunes à observer le show de l’athlète américain. Sur place, le quiproquo était total. De six athlètes suite aux deux faux-départs, ils se retrouvèrent finalement à huit sous les ordres du starter. Ni les spectateurs, ni les commentateurs ne comprenaient la situation. Les juges-arbitres étaient-ils revenus sur leur décision ? Ou Drummond et Powell avaient-ils simplement décidé de n’en faire qu’à leur tête et prendre le départ coûte que coûte ? La confusion régnait en cette chaude soirée du mois d’août.
Finalement, à la suite d’une énième concertation entre les juges-arbitres, il fut décidé de reporter ce quart-de-finale afin de régler hors de la vue des caméras et des spectateurs ce litige. Les athlètes retournèrent sur la piste d’échauffement située non-loin du stade, laissèrent les deux autres quarts-de-finale se courir, tandis que les deux fautifs apprenaient par le biais des commissaires qu’ils étaient bel et bien disqualifiés. Éclatant en sanglot dans les bras de son entraineur, Drummond laissait ses six adversaires du jour se disputer ce quart-de-finale sous la bronca du public, déçu de voir les deux couloirs centraux vides. Des huées persistantes descendant des tribunes, retardant une nouvelle fois le départ de cette interminable course.
Enfin, près de 50 minutes après le tout premier faux départ, Ronald Pognon invita une ultime fois les spectateurs à masquer leur frustration et le sport put enfin reprendre ses droits. La victoire d’Ato Boldon en 10,07s et la qualification in-extremis du sprinter tricolore Pognon pour les demi-finales parurent bien anecdotiques tant cette course fut laborieuse. Ce qui n’était censé être qu’un simple quart-de-finale comme il y en avait tant d’autres en athlétisme restera à jamais gravé dans l’histoire du sprint comme le 100m le plus long de l’histoire.
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