En 2012, le tournoi de tennis de Madrid innovait en recouvrant leurs courts de tennis, habituellement ocres, d’une terre battue bleue. Un joli coup de publicité sur le papier, mais qui tourna au fiasco dès que les premiers joueurs foulèrent cette surface bleutée.
Ion Tiriac, richissime homme d’affaires roumain à la tête du Masters de Madrid, ne cachait pas ses ambitions. Après la promotion de ce tournoi dans la prestigieuse catégorie des Masters 1000 en 2002, cet ancien joueur de tennis prenait les rênes de la levée madrilène en 2009. Cette année-là, le Masters de Madrid s’installait sur les courts ocres de la Caja Magíca et voyait sa programmation basculer d’octobre à mai. Désormais placée entre le tournoi de Rome et Roland-Garros au calendrier ATP, la levée madrilène devenait un immanquable de la saison sur terre battue. Un lieu de préparation idéal, à quelques jours du Grand Chelem parisien.
Mais Ion Tiriac rêvait encore plus grand. Le propriétaire roumain voulait faire de son tournoi un sérieux concurrent aux Internationaux de France de Tennis et lorgnait un statut de Grand Chelem. Pour attirer lumière et spectateurs à Madrid, Ion Tiriac était prêt à toutes les folies, quitte à bouleverser les codes et s’attirer les foudres d’un monde du tennis très attaché aux traditions. En 2011, il présentait à l’ATP son projet de rendre la terre battue madrilène…bleue.
Un choix marketing, sans consulter l’avis des joueurs
Officiellement, ce changement de couleur intervenait pour offrir une meilleure visibilité aux spectateurs et téléspectateurs. Officieusement, la couleur bleue collait parfaitement avec le logo d’un des sponsors majeurs du tournoi : la compagnie d’assurances espagnole Mutua Madrilena. Ça n’était pas la première fois non plus qu’un tournoi de tennis troquait l’habituelle couleur ocre de la terre battue contre une teinte bleutée. En 1993 Stuttgart s’y était essayé, lorsque le tournoi allemand était chapeauté par un certain… Ion Tiriac.
La présentation faite, l’ATP validait ce projet en fin d’année 2011, sans même consulter l’avis des principaux concernés par ce changement. Les joueurs. Remonté envers cette énième décision unilatérale prise par l’ATP, le Big 3 faisait preuve de solidarité et affichait son mécontentement. Rafael Nadal, Novak Djokovic et Roger Federer prenaient la parole et dénonçaient cette mesure qui, de l’avis du taureau de Manacor, « n’est gagnante que pour le propriétaire du tournoi ». Sans même avoir foulé cette terre battue bleue, d’autres joueurs partageaient l’avis du Big 3, quand certains étaient prêts à accorder une chance à la nouveauté. Ils n’avaient encore rien vu.
Et le tournoi de Madrid devint une patinoire
Le 6 mai 2012, la Caja Mágica ouvrait ses portes aux spectateurs, avec ses courts désormais recouverts d’une terre bleutée. Si en tribune les avis étaient partagés sur cette nouveauté, sur les terrains, la critique était presque unanime. Les joueurs se plaignaient d’une terre battue trop glissante, rendant la surface injouable et dangereuse. Expédié par Roger Federer au 2e tour, Richard Gasquet comparait les courts du tournoi de Madrid à une patinoire : « C’était Candeloro contre Joubert ».
La terre battue bleue mettait au tapis deux des principales têtes d’affiche du tournoi. Finaliste l’an passé, Rafael Nadal prenait la porte dès les huitièmes de finale, éliminé par son compatriote Fernando Verdasco. Le Majorquin encaissait là sa septième défaite sur terre en sept années. Le lendemain, le vainqueur sortant était à son tour éliminé. Sèchement battu en deux sets par Janko Tipsarevic, Novak Djokovic quittait Madrid en quart de finale et garantissait, comme Rafael Nadal, de ne plus revenir à la Caja Mágica tant que cette terre battue bleue était utilisée.
Factuellement, que la terre utilisée soit bleue ou ocre, la matière est identique. Ce changement de couleur n’a pas rendu cette surface glissante, en revanche, les responsables du tournoi admettaient qu’une erreur avait été faite dans la conception de la terre battue. Pour Gaston Cloup, ancien responsable des courts de Roland-Garros et mandaté par le tournoi de Madrid pour livrer ses conseils et son savoir-faire, le problème venait d’une réalisation ratée de l’argile utilisée et d’un court trop sec : « La matière est trop libre, elle n’est pas accrochée. Ils n’ont pas suivi mes conseils. »
Djokovic et Nadal piégés par cette surface inhabituelle, c’est le troisième membre du Big 3 qui tirait son épingle du jeu. Roger Federer avait réussi à s’adapter à ces conditions nouvelles et s’imposait en finale face à Tomas Berdych, au terme d’un duel étriqué en trois sets. Le Suisse décrochait le troisième titre de sa carrière à Madrid, le seul de sa carrière sur une terre battue bleue.
Malgré les contestations des joueurs et le risque de ne voir ni Nadal, ni Djokovic, revenir l’année suivante. Ion Tiriac réaffirmait son envie de pérenniser la terre battue bleue à Madrid. Enfin soucieuse des conditions de jeu des joueurs, l’ATP mettait un point final à cette drôle de parenthèse en interdisant, dès juin 2012, l’utilisation de la terre battue sur l’ensemble du circuit ATP. L’ocre madrilène redevenait ocre en 2013 et, comme 55 % des tournois sur terre auxquels il a pris part, Nadal s’imposait à la fin. On ne change pas si facilement les bonnes vieilles habitudes.