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Au tournoi de Wimbledon, dominé depuis deux décennies par le Big Four (Federer, Nadal, Djokovic, Murray), la dernière victoire surprise remonte à 2001. Cette année-là, le Croate Goran Ivanisevic, redescendu au-delà de la 100e place mondiale, s’imposait en finale face à Patrick Rafter et décrochait l’unique titre en Grand Chelem de sa carrière. Du jamais vu dans l’histoire moderne du tennis.
Pourtant, plus d’un siècle avant lui, un Britannique dénommé Frank Hadow réalisait déjà un exploit capital. Ce vacancier, inexpérimenté en tennis, profitait de son séjour à Londres pour s’inscrire à Wimbledon. Une semaine plus tard, il gravait pour l’éternité son nom au palmarès du prestigieux tournoi londonien.
Planteur de café et joueur de cricket
Lundi 15 juillet 1878. Sur les courts en gazon du All England Croquet and Lawn Tennis Club, trente-cinq joueurs britanniques s’étaient réunis pour disputer la seconde édition du tournoi de Wimbledon. Spencer Gore, vainqueur sortant, jouissait d’un traitement de faveur. Exempté de compétition, il était directement qualifié pour la grande finale et attendait patiemment de connaitre l’identité de son challenger. Les trente-quatre autres prétendants au titre, eux, entamaient le premier tour.
Frank Hadow était de ceux-là. Né en 1855 dans le Middlesex, ce jeune homme issu d’une fratrie de sept frères s’était installé au Ceylan britannique, l’actuel Sri Lanka, pour y tenir une plantation de café. Excellent joueur de cricket à ses heures perdues, qu’il pratiquait parfois en compagnie de ses frères, Frank avait pourtant profité de cet été 1878 et ses vacances à Londres pour troquer sa batte contre une raquette de tennis. Tout comme son frère Alexander, les deux hommes s’étaient inscrits à Wimbledon sans aucune expérience.
Engagés dans la même partie de tableau, un duel fratricide les attendaient potentiellement en quart-de-finale. Frank réussissait son entrée en lice. Alexander également. Au deuxième tour, le premier poursuivait sur sa lancée quand le second s’en arrêtait-là, battu en cinq sets par Arthur Myers, l’inventeur du service par-dessus la tête. Quand tous engageaient encore à la cuillère, ce geste était une arme redoutable, mais inefficace face au talent de Frank Hadow. En quart-de-finale il balayait Arthur Myers en trois petits sets, tout comme lors de ses trois précédents tours.
Le planteur de café venu du Ceylan poursuivait ainsi. S’imposant 6-3 / 6-1 / 6-3 en demi-finale, puis 6-4 / 6-4 / 6-4 lors de la finale des challengers, l’honneur lui revenait d’affronter Spencer Gore pour le gain du tournoi. Un joueur offensif et très redouté, profitant de sa grande taille pour monter au filet et conclure ses points à la volée.
Et Frank Hadow inventait le lob
Le défi était immense. Quand Spencer avançait sur le terrain, l’imposante hauteur du filet (1,34 mètre au niveau des poteaux) et ses longs segments le rendaient infranchissable. « Avec ses bras tentaculaires, la balle me revenait aussi vite que je l’avais frappée » déclarait Frank Hadow. Démuni mais pas abattu, le challenger de l’édition 1878 mit au point un stratagème que personne n’avait jusque-là imaginé.
À chaque montée au filet de Spencer, Frank Hadow répondait par une balle en cloche, suffisamment haute pour qu’elle ne puisse être touchée tout en retombant dans les limites du terrain. Le lob venait de naitre. 7-5 en faveur du challenger dans le premier set. Les jeux défilaient et Hadow répétait l’opération. Il empochait la seconde manche 6-1, puis remportait le troisième set 9-7 avant de lever les bras. À 23 ans, l’homme venu passer des vacances à Londres s’imposait à Wimbledon sans concéder le moindre set. Spencer Gore, vainqueur sortant et grandissime favoris était écœuré. Il mit un terme à sa carrière aussitôt la balle de match perdue, déclarant trouver ce sport trop ennuyeux.
Du côté de Frank Hadow, cette expérience ne l’avait pas enchanté au point d’entamer une carrière de tennisman. Bien au contraire d’ailleurs. Lorsqu’on lui demanda s’il comptait défendre son titre l’année suivante, le vainqueur sorti de nulle part comparait le tennis à « un jeu de poule mouillé joué avec une balle molle ».
Hadow tenu sa parole. Absent du gazon londonien l’année suivante, il ne retoucha plus jamais à une raquette de tennis. Sa carrière prenait fin ainsi, six jours seulement après l’avoir débuté, avec un titre à Wimbledon au palmarès et sans jamais perdre le moindre set.
Un demi-siècle après son triomphe, à l’occasion de la 50e édition du plus ancien et prestigieux tournoi de tennis, Frank Hadow était mis à l’honneur. En tant que doyen des vainqueurs de Wimbledon, il recevait une médaille commémorative des mains de la Reine Mary. Il s’éteignait vingt ans plus tard au cours de l’édition 1946, âgé de 91 ans.