Photo de (HUANG ZONGZHI / XINHUA / AFP)
Les Jeux Olympiques d’hiver de 2022 organisés par Pékin ont beaucoup fait parler. Et malheureusement, ce ne fut pas uniquement pour des raisons sportives. Outre le boycott politique de certaines nations et les nombreux reproches faits au gouvernement chinois, Pékin 2022 a été décrié par beaucoup pour la catastrophe environnementale que cet événement représente, malgré la promesse de Jeux « les plus verts de l’histoire » qu’annonçait le CIO. Entre neige artificielle, forêt rasée et construction des infrastructures, quel fut l’impact carbone et environnemental de ces Jeux Olympiques d’hiver ?
Qu’est-ce que l’empreinte carbone ?
De plus en plus prise en considération à l’heure où s’élève une prise de conscience environnementale, l’empreinte carbone est une mesure des gaz à effets de serre émis.
Dans le cadre des Jeux Olympiques, elle correspond ainsi à l’émission totale de CO2 ayant été nécessaire pour organiser et assurer le bon déroulement de l’entièreté d’une olympiade. Ainsi, le simple transport des athlètes est loin d’être le seul facteur entrant dans le calcul de l’empreinte carbone. C’est d’ailleurs l’une des données les moins impactantes.
Parmi les nombreux critères alourdissant l’empreinte carbone d’une olympiade, la construction des infrastructures reste de loin la plus lourde de conséquence. Stades, village olympique ou encore travaux de réaménagement ont un coût de fabrication très élevé d’un point de vue écologique. Aux Jeux de Londres de 2012, cette donnée représentait 50% de l’empreinte carbone totale laissée par cette grande messe du sport. Un chiffre abaissé à 43% dans le cas des Jeux de Rio, puis évalué à 55% du bilan carbone total des derniers Jeux estivaux à Tokyo.
Derrière, le transport du staff et des athlètes internationaux entre inévitablement dans l’empreinte carbone laissée par les Jeux Olympiques. À Tokyo, quelques 11 000 athlètes se sont retrouvés en terre nippone, l’immense majorité d’entre eux ayant fait le déplacement en avion. Les États-Unis et leurs 613 sportifs engagés au pays du soleil levant jouaient le rôle du plus mauvais élève. Le simple aller-retour de leurs athlètes en direction de Tokyo représentait une émission de 900 tonnes de CO2.
Mais ce n’est rien face au déplacement des centaines de milliers de spectateurs assistant tous les deux ans aux Jeux Olympiques d’été comme d’hiver. La pandémie eut au moins l’effet de limiter ces flux de masse et réduire quelque peu l’empreinte carbone laissée par les Jeux de 2020. On estime que l’absence de spectateurs à Tokyo aurait permis d’éviter le rejet de 300 000 tonnes de CO2. À Pékin, il devrait en être de même. Mais dans le cadre d’une olympiade se déroulant dans des conditions bien plus traditionnelles, la venue de spectateurs étrangers et les déplacements en direction des divers sites olympique laisse inévitablement une trace dans l’empreinte carbone générale.
Finalement, en termes d’impact environnemental, la logistique garantissant le bon déroulement des Jeux Olympiques n’arrive qu’en troisième position. Loger et nourrir les athlètes, éclairer les stades, chauffer les piscines ou rafraichir les patinoires dans le cadre des Jeux d’hiver sont d’autant de données à prendre en considération dans le bilan carbone total d’une olympiade.
Et l’addition continue à se saler au fil des multiples extra accompagnant les Jeux. À Tokyo, le relais de la flamme olympique à travers le monde avait notamment généré une émission de 3000 tonnes de CO2. Les cérémonies d’ouverture et de clôture et la confection des médailles possèdent également un impact environnemental, tout comme la production de plusieurs millions de goodies à destination du public. Le Comité d’Organisation des Jeux de Rio avait par exemple lancé une vaste campagne de pièces commémoratives ayant émis pas moins de 75 000 tonnes de CO2.
Toutes ces données additionnées les unes aux autres donnent ainsi l’empreinte carbone totale d’une olympiade. À Tokyo à l’occasion des derniers Jeux d’été, elle s’élevait à 2,4 millions de tonnes de CO2. Un bilan lourd mais un brin positif quand on sait que Londres et Rio avaient enregistré une empreinte carbone tutoyant les 3,5 millions de tonnes de CO2. En 2024, l’addition devrait encore s’alléger puisque Paris souhaite ne pas dépasser les 1,2 millions de tonnes de CO2 émis. Mais qu’en a t-il été de ces Jeux d’hiver de Pékin ?
Pékin 2022, les Jeux « les plus verts de l’histoire ». Vraiment ?
Le CIO l’a assuré. Ces Jeux Olympiques seront les plus verts de l’histoire. Preuve à l’appui, ils publièrent en amont un long rapport de durabilité de 130 pages au sein duquel ils détaillèrent leurs diverses actions à court et long terme visant à réduire l’impact carbone de ces Jeux et protéger l’environnement et les écosystèmes locaux. Mais est-ce bien réel ? Commençons par leurs arguments convaincants.
L’un de leurs engagements les plus forts est l’utilisation d’une énergie 100% renouvelable pour alimenter leurs divers sites olympiques. Un vaste parc éolien et des champs de panneaux solaires ont en effet été construits non-loin des infrastructures. Permettant de fournir une électricité propre, ces énergies renouvelables doivent produire un total 21 millions de kilowatts et seraient, d’après le comité d’organisation, suffisantes pour assurer la consommation en électricité des épreuves sportives et des diverses infrastructures olympiques.
À côté de cela, ces Jeux de Pékin innovent technologiquement pour tenter d’apporter des solutions aux divers enjeux environnementaux. Régulièrement pointées du doigt pour leur impact écologique, les patinoires sont cette année-là équipées d’un système de refroidissement au CO2 totalement naturel. Un progrès novateur qui selon le CIO permettra d’économiser 26 000 tonnes de CO2 soit la consommation annuelle de 3 900 voitures.
Parlons des transports justement. Le bilan est cette fois-ci en demi-teinte. Si le comité d’organisation a assuré que 85% des moyens de transports utilisés à l’occasion de ces Jeux d’hiver fonctionneraient à l’électricité ou à l’hydrogène, n’oublions pas que les infrastructures sportives sont pour la grande majorité d’entre-elles exilées à plus de 180 kilomètres de Pékin. Pour y parvenir, la distance à parcourir est grande. Mais le comité d’organisation a pensé à tout en lançant la construction d’une ligne à grande vitesse permettant d’assurer la communication entre la capitale chinoise et le site olympique. Le train est un moyen de transport jugé propre certes, mais construire 180 kilomètres de lignes ferroviaires possède un impact écologique non-négligeable. Pas de panique, pour compenser ces dégâts causés à l’environnement, Pékin 2022 a annoncé avoir participé à la plantation de 80 000 hectares de végétation. Mais cela sera-t-il réellement suffisant ?
Car si le CIO oublie curieusement de le mentionner dans son rapport de durabilité, les défauts de ces Jeux sont nombreux. À consommer par sa localisation.
C’est ce qui fait sans aucun doute le plus grand bruit. Les Jeux Olympiques d’hiver se déroulent cette année dans une région où il ne neige jamais. Ce n’est pas la première fois de l’histoire certes, mais la campagne de Zhangjiakou, accueillant la grande majorité des sports de neige, est connue pour son climat hivernal particulièrement sec qu’elle doit à sa proximité avec le désert de Gobi. Sur place, il tombe en moyenne cinq centimètres de neige par an. Soit autant qu’à Paris.
Ainsi, et pour la première fois de l’histoire des Jeux, 100% de la neige utilisée est d’origine artificielle. 200 canons à neige ont été nécessaires pour recouvrir la totalité des pistes d’une neige peu appréciée des athlètes, représentant une dépense totale de 185 millions de litres d’eau.
On peut légitimement se poser la question de l’impact environnemental d’une telle opération. Face aux interrogations, le comité d’organisation a toutefois voulu se montrer rassurant : L’eau utilisée est en grande partie de l’eau de pluie récoltée et stockée dans de grands bassins depuis de nombreux mois et ne contient aucun produit chimique. Une contamination des sols serait donc à exclure, bien que certains spécialistes admettent des doutes. Oui, pour produire une neige artificielle capable de tenir dans le temps, il est en règle générale impératif d’avoir recours à des adjuvants. Mélangés à l’eau, ces produits chimiques ont encore été très peu étudiés par les scientifiques et leur potentiel impact sur l’environnement n’est pas clairement défini.
Produit chimique ou non, cette utilisation massive de l’eau dans une région aussi sèche aura dans tous les cas des conséquences irrémédiables pour les sols. Pour tracer les pistes de ski, le passage à répétition des dameuses rendant le sol imperméable empêche l’eau de s’évacuer efficacement et augmente drastiquement l’érosion, engendrant un fort risque de glissement de terrain.
La qualité du sol de la région de Zhangjiakou ne sera plus jamais la même. Dommage pour cette réserve naturelle connue pour ses grandes forêts et ses terrasses agricoles particulièrement fertiles. Mais après tout, quand on sait que ce site a en partie été déboisé pour construire les infrastructures nécessaires à l’organisation de ces Jeux Olympiques, on se dit qu’altérer la qualité du sol n’est qu’une goutte d’eau dans cet océan d’irresponsabilité. Le tout, sans parler du lourd bilan carbone qu’a demandé la construction des sites et l’acheminement de l’eau sur plusieurs dizaines de kilomètres grâce à des pompes. Oui, récolter l’eau de pluie est certes écologique, mais cela le devient beaucoup moins lorsqu’on est obligé de le faire loin du site, dans une région bien plus humide.
Vous l’aurez compris, le rapport de durabilité du CIO est à prendre avec des pincettes. Des efforts pour réduire l’impact environnemental de ces Jeux ont été réalisés certes, mais la simple localisation de cette olympiade dans une région sèche, loin de tout et qui n’avait jusque-là jamais accueillie la moindre discipline hivernale semble tout annuler. Conséquence : Thomas Bach, président du CIO a beau le nier, Pékin 2022 représente une catastrophe pour l’environnement. Mais pourra-t-on à l’avenir redresser la barre et assister à des Jeux Olympiques propres ?
Peut-on réduire à l’avenir l’empreinte carbone des Jeux Olympiques ?
C’est en tout cas l’un des objectifs clairement établis par le CIO. En adéquation avec l’Agenda olympique 2020 ayant fait de la durabilité l’un de ses trois piliers, les Jeux devront à compter de 2030 présenter un bilan carbone négatif. Autrement dit, l’empreinte carbone générée par cet événement devra être compensée par une série d’action à visée écologique. Faisable ou complètement utopiste ?
Pour réduire le bilan carbone d’une olympiade, les solutions sont bien heureusement nombreuses. L’une des plus fondamentales n’est d’ailleurs pas la plus compliquée à mettre en œuvre si l’on possède déjà un héritage olympique : L’utilisation d’infrastructures déjà existantes.
Nous l’avons bien vu, la construction du site olympique reste le facteur le plus impactant pour le bilan carbone. Ainsi, utiliser des stades, des gymnases, des piscines ou encore des patinoires déjà existantes contribue fortement à réduire l’impact environnemental. La problématique de l’héritage est également limitée et le risque de laisser à l’abandon certains bâtiments devient moindre. À titre d’exemple, 95% des infrastructures destinées à être utilisées à l’occasion des Jeux de Paris2024 sont déjà construites. Un atout essentiel qui pourrait bien permettre au comité d’organisation d’atteindre son objectif de ne pas dépasser les 1,5 millions de tonnes de CO2 émis. D’autant plus que l’ajout de nouvelles disciplines tel le skateboard, le basket-ball 3×3 et bientôt le breakdance ne nécessitant pas de grosses infrastructures contribue à limiter le coût environnemental en matière de construction.
En matière de transport et de logistique, le comité d’organisation de Paris 2024 a fait le choix de réduire le nombre d’athlètes présents dans la capitale française. De 11 100 à Tokyo, ils seront 600 de moins à Paris, tandis que la parité homme femme sera pour la première fois respectée. L’impact du transport des athlètes devrait ainsi être moindre, d’autant plus que les divers lieux de compétition seront pour la plupart d’entre eux regroupés à Paris et en Seine Saint-Denis, limitant le déplacement des spectateurs qui pourront compter sur un important dispositif de transport en commun.
Enfin, réduire l’impact carbone d’une olympiade passe plus simplement par une adoption des bons gestes du quotidien. Trier et recycler les déchets laissés par un tel événement doit urgemment devenir une norme, les circuits courts et les produits locaux devront garantir la restauration des athlètes comme du personnel tandis que les énergies renouvelables doivent définitivement suppléer aux énergies fossiles.
À Tokyo en 2021, de réels efforts ont déjà été constatés. Les médailles ainsi que les podiums avaient par exemple été conçus à partir de matériaux recyclés, les athlètes dormaient sur des sommiers faits en carton recyclé tandis que l’hydrogène permettait de fournir le village olympique en électricité et d’alimenter la flamme. Des choix environnementaux ayant contribué à afficher un bilan carbone un tiers moins élevé qu’à Londres ou à Rio. Mais cela restait trop peu suffisant pour espérer une neutralité carbone.
Et justement ! D’ici quatre ans, cette neutralité devrait être atteinte. C’est en tout cas l’objectif que s’est fixé Milan, qui accueillera en 2026 les Jeux d’hiver, et Los Angeles, future ville hôte des olympiades estivales en 2028. Une première étape avant le bilan carbone négatif qu’imposera le CIO d’ici 2030. Mais ces promesses ne sont-elles pas ambitieuses ? Milan 2026 arrive dans quatre ans déjà et le bilan carbone de ces Jeux de Pékin venant de se clôturer n’a pas encore été calculé. Mais quand on connait la catastrophe environnementale qu’ont été ces Jeux, il y a fort à parier que cette empreinte carbone ne soit guère plus positive, malgré la promesse de Jeux « les plus verts de l’histoire ». Vous l’aurez compris, la route est encore très longue et de nombreux efforts devront être réalisés pour espérer atteindre un bilan carbone neutre d’ici quatre ans.